Les universitaires et internes alertent sur la « paupérisation » de la formation en pédopsychiatrie

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Auditionnés au Sénat, les représentants du Collège national des universitaires de psychiatrie et de l'Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep) ont tiré un signal d'alarme sur les difficultés d'accès à la formation en pédopsychiatrie. Neuf facultés de médecine ne disposent actuellement pas de PU-PH pour la spécialité.

La mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France du Sénat, poursuivant ses nombreuses auditions, a notamment entendu ce 6 février les représentants du Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP) et de l'Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep). Cette audition a présenté d'ailleurs un intérêt particulier pour l'auditoire, alors qu'une réforme du 3e cycle des études de médecine est en cours. Le Pr Pierre Thomas, président du CNUP et responsable du pôle psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire du CHRU de Lille, et Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris-Descartes, également représentante du CNUP, ont alors alerté sur la "paupérisation" de la formation en pédopsychiatrie, après avoir exposé les enjeux sanitaires et sociaux "considérables" auxquels elle doit répondre.

Le nombre d'internes en forte hausse

Malgré les besoins croissants d'offre de soins en pédopsychiatrie et la hausse des demandes adressées aux professionnels, en France, les universitaires de psychiatrie chargés de la formation des futurs pédopsychiatres, sont moins nombreux au regard des autres disciplines médicales. Ainsi, Pierre Thomas a indiqué que l'université ne dispose que de 102 postes de professeurs de psychiatrie, dont 75 en psychiatrie de l'adulte et 27 en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Il a par ailleurs souligné qu'une faculté de médecine sur cinq ne dispose pas de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en pédopsychiatrie. "Cela correspond à neuf facultés (1) au total, dans neuf ex-régions, où il y a un déficit d'accès à la formation universitaire, alors que les problèmes de santé mentale se retrouvent bien évidemment sur tous les territoires de santé", a commenté le président du CNUP. Or il y a actuellement plus de 2 000 internes de psychiatrie en formation (contre 1 200 en 2012). "Il s'agit du plus grand nombre d'internes parmi toutes les spécialités médicales après la médecine générale", a souligné Pierre Thomas. Il y a une "explosion du nombre d'internes" en psychiatrie, a souligné Bénédicte Barbotin, présidente de l'Affep, précisant que selon un sondage récent auprès de ces internes, 30% comptent s'orienter vers la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Mais le taux d'encadrement est, de facto, "le plus faible des spécialités médicales", a souligné le président du CNUP. Et l'offre de postes en chef de cliniques des universités est également le plus faible de l'ensemble des disciplines médicales, "dix fois moins que dans certaines spécialités". Bénédicte Barbotin a ainsi témoigné des difficultés pour les internes de trouver des terrains de stage et/ou des formateurs suffisamment qualifiés sur ces terrains car tous n'étaient pas eux-mêmes titulaires d'un diplôme d'études spécialisées complémentaire (Desc) de pédopsychiatrie.

L'option dans un DES semble se confirmer

Pour le CNUP, la faiblesse de l'offre de formation pour une discipline "aussi importante que la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent crée un risque de perte d'attractivité, dans une logique de "cercle vicieux"". Car la psychiatrie universitaire intervient dans la formation initiale de l'ensemble des professions médicales et "la sensibilisation aux problèmes de santé mentale des mineurs et la formation au soin sont des étapes essentielles et nécessaires" pour former les futurs médecins. Or les moyens actuels ne permettent pas de fournir cette formation de base sur l'ensemble du territoire, a souligné Pierre Thomas. En écho, Marie-Rose Moro a rappelé que plusieurs rapports et enquêtes sortis ces dernières années (2) ont montré l'importance de donner des moyens à la pédopsychiatrie. Pourtant, l'Ordre des médecins a mis en évidence une baisse de 48,2% d'inscriptions de pédopsychiatres entre 2007 et 2016. Il faut une réflexion concertées entre les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et celui de la Santé afin de "réactualiser les effectifs universitaires de la pédopsychiatrie à la mesure des besoins de formation, de soin et de recherche", a-t-elle poursuivi. Le CNUP estime ainsi qu'il faudrait fixer le nombre d'universitaires en pédopsychiatrie et le nombre minimum de pédopsychiatres à former chaque année en France, en particulier, dans le cadre de la réforme du diplôme d'études spécialisées (DES). Le CNUP et l'Affep ont confirmé que l'on s'orientait, dans le cadre de la réforme du 3e cycle, vers un DES de psychiatrie de quatre ans, avec une option de pédopsychiatrie sur un an qui serait faite au terme du DES dans le cadre d'une 5e année. Ceci comme l'indiquait la DGOS dans une précédente audition. Mais contrairement à ce qu'indiquait la DGOS, les universitaires ne demandent pas la création d'un co-DES. D'ailleurs, a renchéri la présidente de l'Affep, une enquête auprès de plus de 900 internes en psychiatrie a montré qu'ils souhaitent également, à une très large majorité (81%), maintenir un DES de psychiatrie avec la possibilité d'options. Par ailleurs, dans le cadre de cette réforme, le CNUP espère que puisse être intégré au DES de médecine générale un semestre obligatoire de psychiatrie. Ceci au regard de la part croissante que représente la prise en charge de la santé mentale des patients dans la pratique quotidienne des médecins généralistes.

Caroline Cordier, Hospimédia du 8 février 2016

(1) Ce sont les facultés de Dijon, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Limoges, Tours, Caen, Grenoble, Antilles-Guyane et Réunion-Océan Indien.

(2) Dont le rapport "Bien-être et santé des jeunes", co-écrit par le Pr Moro et remis au président de la République fin 2016, ou encore les États généraux de la pédopsychiatrie, qui se sont tenus à Paris en 2014.