28/04/2020

« A vos masques … Prêts ? Partez ! »

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Distribution de masques au Groupe d’entraide mutuelle (GEM) avec en ligne de mire le respect des gestes barrière… Echos d’une organisation participative.

Vendredi 24 avril, 15 h 47. Mon portable me signale un nouveau message sur Facebook. Je jette un coup d’œil. C’est le Gem (Groupe d’entraide mutuelle). Stéphane. « Bonjour les Gémiens, l’opération distribution de masques en tissus est en train de se dérouler » Quelques photos sont jointes. Sur l’une d’elles, Jacques, installé près du minibus, à l’entrée du Gem. Il porte un masque noir qui lui couvre tout le visage. J’aperçois ses yeux. Son crâne chauve luit au soleil. Contraste. Il est assis, ganté, sur une chaise. Devant lui sur une petite table une bouteille de solution hydroalcoolique et les sacs qui contiennent deux masques, le poème choisi par Colette l’animatrice, et les conseils d’utilisation. Jacques c’est le poste avancé. Il accueille et oriente. Cinq autres photos me montrent que le dispositif projeté a été respecté. Devant la porte du garage, une autre table. Emilie, notre comptable mobilisée pour l’occasion, masquée et gantée, elle aussi. Sous l’escalier, j’aperçois Colette qui adresse  un signe de la main au photographe. Je commence à respirer. J’envoie un message : « Comment ça se passe ? » C’est José qui répond : « Bonjour, bien débuté ». Un pouce levé. Bien débuté, ça veut dire quoi ? Qu’ensuite ça s’est gâté ? J’appelle José ? Non j’attends. Ce n’est pas ce que nous avions convenu. C’est difficile d’être en Avignon, à deux heures et demie d’une action qui se passe à Gap. Ils vont m’appeler. S’il y avait eu le moindre problème, ils m’auraient déjà appelé. Déléguer, faire confiance ; quoi qu’on en dise ça ne va pas de soi…

L’avocat du diable

J’ai raconté dans une précédente chronique comment et pourquoi nous en étions venus à organiser cette distribution de masques en tissus ce vendredi après-midi. (1) Nous nous en étions préoccupés très tôt. Christophe, le trésorier, m’avait interpelé sur ce sujet, dès mon premier appel.

« Financièrement, ce n’est pas le problème mais tu te rends pas compte ! Le risque que ça fait courir à Colette l’animatrice ! Et aux Gémiens.

– Il faudra que nous nous organisions. Soigneusement. Tu as raison Christophe.

– Si tout le monde vient en même temps, Colette sera débordée. Elle ne pourra pas faire respecter les gestes barrière.

– On en a parlé rapidement avec Colette. Chacun sera convoqué à une heure précise. Les arrivées s’étaleront tous les quarts d’heure. Personne ne pourra rester plus d’un quart d’heure. Personne n’entrera dans les locaux du Gem, à part Colette. On mettra une table en travers de la porte et une autre derrière, comme ça elle ne sera pas en contact direct avec les Gémiens.   

– Tu crois que les Gémiens respecteront leur horaire ? Quand on a rendez-vous pour une activité ou pour une sortie, y’en a plein qui sont à la bourre. On part régulièrement avec une demi-heure de retard voire une heure. Et puis comment chacun connaitra-t-il son heure d’arrivée ? »

 Pour un peu, il m’aurait dit que j’étais à côté de la plaque, que je vivais dans un monde parallèle. A cette étape, j’étais le rêveur et lui l’ambassadeur de la réalité. J’adore ça. Cette inversion est un des grands plaisirs du moment. Les objections de Christophe étaient pertinentes, il ne serait pas  possible de ne pas en tenir compte pour organiser une distribution de masques suffisamment sécure pour les uns et les autres. Il remplit la fonction essentielle d’avocat du diable. Ainsi que l’écrit C. Morel, ce processus s’exerce selon des modalités variées. « L’important est que s’institue le fonctionnement contradictoire comme principe général de la prise de décision. » (2) Nombre de décisions absurdes, en particulier en ces temps de coronavirus, sont prises parce que la contestation constructive manque. Le contact direct permet l’expression de points de vue différents que les visio-conférences affadissent souvent. Le Gem n’étant pas une organisation pyramidale, les temps de délibération y sont importants. Encore plus en ces temps de confinement.

Un projet mitonné aux petits oignons

Un autre problème se posait. Colette ne pouvant faire garder son fils qu’un après-midi dans la semaine, nous ne pourrions distribuer les masques qu’à quatorze gémiens au lieu des trente adhérents concernés. Il fallait donc doubler voire tripler le nombre de lieux de distribution. C’est ainsi que nous avons demandé à Emilie, notre comptable à temps partiel, si elle accepterait d’y participer. Après délibération, Jacques et José, tous deux membres du bureau, acceptèrent de s’occuper d’un troisième voire d’un quatrième emplacement. Ils seraient les premiers servis. Colette leur montrerait comment attacher les masques, leur donnerait à chacun une paire de gants, une bouteille de solution hydroalcoolique. Ils expliqueraient les gestes barrières et le respect des distances de protection. José qui relayait sur Facebook les différentes recommandations était de toute façon « au taquet » en matière de consignes de sécurité. Le projet s’élabora ainsi. Les smartphones chauffèrent entre Avignon et Gap. La localisation de chaque table fut pensée. Le jardin ombragé du Gem permit de les placer à distance suffisante les uns des autres. Des messages furent envoyés par messagerie. Tous furent appelés, individuellement, ce qui nous permit de prendre des nouvelles de chacun. Nous insistâmes sur l’importance du respect de l’horaire imparti. En cas de non-respect, nous serions obligés d’annuler la distribution, dus-je préciser à quelques personnes qui me semblaient trop prendre à la légère l’organisation. Il suffisait que le voisin du dessus appelle la police pour que nous nous trouvions coincés. Avec même le risque de devoir payer, chacun, une amende de 135 euros. Chacun comprit la nécessité de ces précautions.

L’attestation de déplacement dérogatoire

Nous nous rendîmes compte que nombre de gémiens n’avaient pas d’attestations de déplacement dérogatoire. Si les Gémiens fréquentaient Facebook, peu d’entre eux avaient une imprimante. Colette en imprima donc un grand nombre. José demanda ce qu’il fallait noter comme motif de déplacement. Ce point fit débat. Certains ne voulaient pas associer Gem et soin. Une distribution de masques ce n’était pas une consultation, ni un soin, ils ne voulaient pas non plus montrer qu’ils étaient atteints d’une affection de longue durée. « Ça ne concerne pas la police », dit l’un, « Il faut être précis » soutint un autre. En tout état de cause, il n’était donc pas question qu’ils se rendent au Gem pour cette raison même si nous insistâmes sur la nécessité d’être formé au coronavirus et aux gestes barrières. Certains cochèrent la case « Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou la garde d’enfants », montrant ainsi à quelle place il mettait le Gem et l’importance pour eux de se soutenir les uns les autres. Nous trouvâmes un « consensus mou » autour de la case « Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile ». Il fallut expliquer ce que signifiait le mot « rayon ». Serge résuma ce débat en disant : « Un mot c’est un mot, si les mots n’ont plus de sens, où allons-nous ? Il n’y a plus de repère possible. Les mots ne peuvent pas avoir de double sens. Est-ce que la vie est à double sens ? »

La discussion, pour intéressante qu’elle fut, était surtout théorique. Après vérification, aucun gémien n’avait été contrôlé au cours des premières semaines du confinement.

Ultimes préparatifs

Nous organisâmes le jeudi après-midi, une visioconférence pour examiner à la loupe les derniers détails. Nous fîmes le point sur les ultimes appels, donnés et reçus. Nous intégrâmes une personne que nous avions oubliée Elle était au Gem sans y être. Une tangentielle, quoi ! Paul, un des adhérents, ayant mis à profit le confinement pour s’installer avec une compagne, nous rajoutâmes deux masques supplémentaires. Nous reprîmes le texte du déroulé de la journée.

« Et si certains ne respectent pas leur horaire et qu’on se retrouve à une dizaine, qu’est-ce qu’on fait ? On annule ? »

Jacques avait soulevé un point important. Tempête sous les crânes. Comment résoudre cette difficulté éventuelle ?

« Il faut quelqu’un à l’entrée qui dispatche les uns et les autres, énonce la règle du jeu, précise à quelle table l’arrivant doit venir, voire l’empêche d’entrer s’il y a trop de personnes présentes. »

Qui pour remplir cette tâche délicate qui exigeait beaucoup de diplomatie. Colette ? Emilie ? Jacques fut volontaire. C’était un bon choix.

C’est lors de cette réunion qu’il fut décidé que chaque table aurait un tissu de couleur qui la caractériserait pour faciliter le repérage.

Nous nous quittâmes à 17 h 30 avec la sensation d’avoir balisé au mieux ce qui pouvait l’être. Je passais un dernier coup de fil à Colette en soirée pour lui dire qu’elle n’hésite surtout pas à annuler la distribution si les contraintes n’étaient pas respectées, que j’en porterais et en assumerais la responsabilité.

Les dés étaient jetés.

Au moins savais-je, à 15h47, que la distribution était en cours et que tout se passait bien…

Dominique Friard

Président du Gem Le Passe-Muraille

Notes :

  1. Formule trouvée par Suze Karak lors d’un jeu organisé, le 21 avril, sur la page Facebook https://www.facebook.com/dominique.friard.7
  2.  « Les jeux à la con du Dr Cabochon ». Il s’agissait de prendre un proverbe et de substituer le mot masque à un des mots du proverbe. Il y eut 215 propositions, toutes plus riches les unes que les autres. Certaines constituent de très beaux slogans préventifs.
  3.  FRIARD (D), Quand on parle de masque, on en voit l’élastique, 22/04/2020. Site Santé Mentale.
  4. MOREL (C), Les décisions absurdes II, Comment les éviter ?, NRF, Editions Gallimard, Paris, 2012.

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