Vénus beauté

N° 172 - Novembre 2012
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Sans les boîtes de maquillage, véritables objets du désir, difficile de « faire parler » ce groupe de jeunes filles de leurs émotions…

Très peu de filles viennent à l’hôpital de jour : elles sont 5 pour 28 garçons. Plutôt discrètes, elles restent assises dans leur coin, tandis que les garçons courent, sautent et parlent fort. Clémence, Estelle, Émile, Marilyn et Samantha ont entre 15 et 19 ans. Ce qui frappe d’emblée, c’est la différence entre Clémence, qui paraît encore très enfantine et ne prononce que quelques mots comme « pipi », « mal à la tête » ou « faim » et Marilyn et Samantha, deux jolies jeunes filles toutes pouponnées et maquillées…
Nouvelle venue à l’hôpital de jour*, je m’apprête à coanimer pour elles un « groupe de filles » avec Mara, une collègue éducatrice. Mara me raconte que ce groupe existait déjà sous le nom de « Vénus Beauté ». C’était une activité de maquillage qui s’est arrêtée avec le départ des soignantes qui l’animaient.
Nous sommes donc sollicitées pour reconstruire un espace autour de ces cinq filles. Nous posons quelques idées. Mara évoque un temps d’échanges et de paroles autour de la féminité, de la peau et des enveloppes corporelles. Nous pourrions faire des massages, des masques, aller de l’extérieur vers l’intérieur, de la peau et de l’apparence vers les émotions, les sensations. Je suis tout de suite séduite par cette approche et nous décidons d’en parler avec les jeunes filles.

« On veut parler des garçons »

Au jour dit, Mara arrive avec deux grosses boîtes. C’est le maquillage de Vénus Beauté. Je m’étonne : « Ah oui? Mais je croyais que nous n’allions plus les maquiller ?
– Tu sais, Virginie, ces boîtes, c’est un peu l’objet du désir, et je crois que c’est important pour Marylin et Samantha. On va les poser là, par terre, à côté de la table, et nous verrons bien si elles en parlent. »
Nous nous installons dans une salle tranquille avec les adolescentes. Émile est encore en vacances. Estelle, Clémence, Marilyn et Samantha s’assoient sans bruit, yeux baissés. Mara prend la parole et leur explique qu’elles seront bientôt des jeunes femmes et qu’ici, nous pourrons parler de tout ce qui leur pose question, de ce qui se passe dans leur corps et dans leur tête, des changements qu’elles vivent et de tous les sujets qui concernent particulièrement les femmes… Les adolescentes nous écoutent silencieusement.
Je sors une grande feuille blanche et leur demande de quoi elles auraient envie de parler. La réponse d’Estelle fuse dans un gloussement : « On veut parler des garçons ! » Je me tourne vers Samantha, qui me souffle d’une voix si petite qu’on l’entend à peine : « La mode et les vêtements.
– Les parfums, les bijoux! rajoute Estelle.Et puis les régimes… »
C’est au tour de Clémence qui semble un peu ailleurs. Avec une grimace de déplaisir, elle montre son ventre pour dire qu’elle a mal, ce qu’elle fait souvent, semble-t-il, quand elle s’ennuie. Après un long moment, elle dit seulement : « Fille. » Mara lui indique qu’elle pourra écouter et intervenir quand elle le voudra.

Regagner la confiance

Marilyn a les yeux baissés dans une attitude plutôt hostile et tapote sur la table en nous jetant des regards fuyants. Mara se penche vers elle : « Marilyn, je crois que tu attends quelque chose, regarde les boîtes qui sont posées par terre. » Le visage fermé de la jeune fille s’éclaire, elle bondit de sa chaise et ouvre les coffrets avec une impatience visible. Elle sort deux grands miroirs, s’y regarde, en donne un à Samantha qui sourit à son reflet et se passe la main dans les cheveux. Elles déballent les palettes de maquillages, parfums, vernis comme deux petites filles qui ouvriraient leurs cadeaux de Noël.
Mara reprend : « Je sais que ces boîtes sont très importantes pour vous. Ce groupe va changer. Nous discuterons autour de thèmes que nous aurons choisis ensemble et ensuite, nous vous laisserons un peu de temps pour vous maquiller à la fin du groupe comme aujourd’hui. »
Il faut presque arracher le maquillage des mains de Marilyn qui marmonne : « Pas parler, moi, je veux me maquiller ! »
Je réalise combien ces boîtes sont importantes pour elle et je me dis qu’elles serviront peut-être à établir un lien entre l’extérieur et l’intérieur, et qu’il faudra certainement beaucoup de temps pour que Marilyn, Samantha et les autres nous accordent leur confiance et nous ouvrent un peu leur porte…

Virginie Jardel, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

* Virginie Jardel a quitté le Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), où elle exerçait depuis sept ans auprès d’adultes et débute dans cet hôpital de jour pour adolescents.

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N° 172 Le cadre thérapeutique
N° 189 Des jeux pour soigner en psychiatrie
N° 226 Des activités "thérapeutiques"
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N° 255 Médiation animale en psychiatrie

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