Une gueule d’ange…

N° 173 - Décembre 2012
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Nicolas, 14 ans, tente de contenir son angoisse massive par des repères et des habitudes, mais aussi en s’appuyant sur le dispositif contenant des activités thérapeutiques.

À l’hôpital de jour, nous accueillons des adolescents autistes, psychotiques, ou souffrant de troubles envahissants du développement. Le dispositif repose sur un temps de rencontre dans un cadre sécurisant qui permet aux jeunes de se confronter à leurs difficultés et au regard de l’autre. Les activités les aident à repérer le lieu, le temps de la séance et les différents participants. Chaque adolescent a son emploi du temps, partagé entre des groupes thérapeutiques et des moments d’accueil informels.

Le temps de Nicolas

Parmi eux, Nicolas, 14 ans, blond et plutôt souriant, a une « gueule d’ange ». Il ne sait ni lire, ni écrire et frappe par la pauvreté de son langage. Quand il ne participe pas à un groupe, Nicolas, qui a du mal à s’inscrire dans le temps, reste souvent debout devant la grosse pendule en nous demandant s’il est bientôt l’heure de partir.
Par ailleurs, dès que le cadre d’un atelier se modifie, Nicolas peut devenir très angoissé. Le jour de mon arrivée au groupe collage, nous étions deux nouvelles : une stagiaire et moi. Nerveux, Nicolas découpait compulsivement des magazines et jetait des coups d’œil méfiants autour de lui. Mon collègue infirmier devant partir plus tôt que d’habitude, je me suis retrouvée seule encadrante avec la stagiaire. Nicolas a alors commencé à s’agiter, à se barbouiller le visage de colle et à mâcher des bouts de papier en me regardant. Puis, il a repoussé la stagiaire qui s’approchait trop près de lui, s’est brusquement enfui et enfermé dans les toilettes. Depuis, beaucoup de débordements de ce type se sont reproduits. C’est comme si ce jour-là, la désaffection brutale de mon collègue avait brisé quelque chose en lui et généré une angoisse telle qu’elle l’a conduit à des passages à l’acte.

Face à l'imprévu…

Dans les transports en commun, Nicolas est plutôt autonome, même s’il ne sait pas lire. Il vient seul tous les matins en métro. Son trajet est direct et il connaît par cœur le nom de toutes les stations de sa ligne. Un jour, il y a eu un incident et le métro s’est arrêté un moment. Nicolas, très angoissé, a alors appelé ses parents avec son portable pour leur demander ce qu’il devait faire. Malgré son stress, il a pu expliquer à une dame agacée par son état d’agitation que ce n’était pas sa faute et qu’il était handicapé. Nicolas prouve ainsi qu’il peut se « rassembler » et trouver des solutions pour faire face à son angoisse.
Un autre jour, il observait étrangement Inès, une stagiaire, visiblement perturbé par quelque chose. Nous avons réalisé plus tard que ce jour-là, Inès avait ses longs cheveux lâchés alors qu’elle les attache d’habitude. Pour Nicolas, toute modification peut changer l’identité d’une personne et la faire disparaître. Je me souviens de ma fille, bébé, qui ne me reconnaissait pas quand je sortais de la douche avec une serviette sur la tête. Elle me regardait complètement sidérée, j’étais devenue quelqu’un d’autre.
Nicolas est très sensible aux autres et répète le prénom de chacun avant de commencer une séance. Dans la salle commune, il me demande parfois d’écrire sur une feuille le prénom des personnes présentes comme si cela pouvait fixer leur présence.

Terrain glissant

Nicolas est dans l’ici et le maintenant. Il marche en quelque sorte sur un terrain glissant où il risque à tout moment de tomber. Seule une conscience de soi suffisamment solide peut permettre de se situer dans l’espace, dans le temps et avec l’autre. Si « je » n’existe pas et n’est pas différencié, alors le moindre petit changement peut attaquer et menacer les fragiles tentatives de construction du Moi. L’absence de contenant psychique fait que rien n’est retenu et que tout peut s’échapper. Les objets n’existent pas quand ils ne sont plus là. À l’hôpital de jour, nous travaillons en équipe autour de Nicolas. Quand il termine très angoissé son activité collage, mon collègue éducateur l’accueille parfois dans son groupe. Face à une figure paternelle peut-être plus contenante pour lui, Nicolas se calme et se reprend.
Reste qu’il attaque souvent le dispositif de soin lorsque celui-ci lui semble tangent. Nous contenons alors son angoisse en lui renvoyant des mots, en l’inscrivant dans un lieu et dans un temps de rencontre avec des soignants et des jeunes de son âge. Petit à petit, nous apprenons à le connaître et à gagner sa confiance.

Virginie Jardel, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

Virginie Jardel a quitté le Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), où elle travaillait depuis sept ans et exerce dans cet hôpital de jour pour adolescents depuis septembre.