Un jeu de cache-cache

N° 178 - Mai 2013
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Myriam souffre de troubles envahissants du développement. Sous son air enfantin, cette adolescente cherche le soutien des adultes et en particulier d’une « maman-soignante ».

Myriam est une adolescente de 15 ans, très régressée, qui s’exprime par « mots-clefs » comme les jeunes enfants : « pipi », « t’as faim » pour « j’ai faim » ou « fatiguée ». Depuis la petite enfance, elle souffre de troubles envahissants du développement. Elle a un grand frère autiste et une petite sœur de 2 ans, en parfaite santé, dont elle aime s’occuper. Myriam parle peu mais est très expressive. Elle manifeste sa joie par de grands cris de plaisir quand il s’agit de faire une activité qu’elle aime ou de manger, car elle est plutôt gourmande. À l’inverse, nous pouvons lire sur son visage le dégoût et le déplaisir quand quelque chose ne lui convient pas.
À l’hôpital de jour, Myriam a un emploi du temps bien rempli. Elle se repère assez bien dans la semaine grâce à quelques activités thérapeutiques qu’elle a beaucoup investies. Le lundi, par exemple, dès 9 heures du matin, elle réclame le groupe « randonnée » car elle sait que nous mangerons à l’extérieur des sandwichs et des chips… Il faut la voir attaquer goulûment son sandwich poulet mayonnaise en poussant des petits cris de plaisir. « Yam c’est bon », répète-t-elle joyeusement, les genoux couverts de miettes de pain. Elle marche d’un bon pas et pique des accélérations quand elle aperçoit Marylin, une adolescente du groupe, attraper le bras de Matthieu, l’éducateur. Myriam se fraye alors un passage dans la petite troupe pour s’accrocher elle aussi à Matthieu. Depuis qu’elle me connaît mieux, elle choisit parfois mon bras, parfois en miroir avec Marylin, parfois simplement comme ça, parce qu’elle a aussi besoin d’être un peu portée et soutenue, physiquement et psychiquement.

Poussée d'adolescence

Malgré son allure enfantine, Myriam est bien une jeune fille de 15 ans avec des émois, des sentiments amoureux, et certainement des sensations qu’elle a parfois du mal à contenir. Elle participe au groupe de paroles destiné aux filles et nous pensons qu’elle peut se saisir de notre discours quand nous parlons des règles, de la grossesse, de la sexualité et des relations entre garçons et filles. En revanche, quand notre discours devient plus complexe, Myriam s’excite et pousse des cris et des gloussements en déchirant en tous petits morceaux les papiers qu’elle trouve à portée de main. Nous lui demandons alors de sortir se calmer un peu.

Une progression à petits pas

À mon arrivée, en septembre, Myriam était plutôt passive et indolente. Elle refusait toutes activités physiques. Depuis quelque temps, elle manifeste beaucoup plus de moments d’excitations dans la journée et se montre plus tonique et vivante. Myriam progresse dans son langage et formule de courtes phrases : « Virginie Matthieu randonnée ». Au groupe « éveil corporel », elle attrape à deux mains un ballon pour le renvoyer tout de suite à son voisin tandis qu’auparavant, elle le regardait tomber devant elle sans même faire mine de l’attraper.
En réunion clinique, les soignants se remémorent son histoire. Il y a un peu plus de deux ans, quand sa mère était enceinte de sa petite sœur, Myriam a eu des mouvements de grandes excitations avec une progression fulgurante de ses apprentissages. Puis, à la naissance du bébé, tout s’est écroulé et Myriam s’est complètement éteinte.
Or, je suis enceinte. Le médecin qui rappelle ce contexte lors de la réunion m’explique qu’elle a parlé de ma grossesse à Myriam : « Je lui ai dit que tu reviendrais et que tu ne l’abandonnerais pas, même si tu allais partir en congé maternité pendant quelques mois. » Évidemment, Myriam ne lui a pas répondu mais je vois chaque jour combien elle semble m’investir et s’attacher de plus en plus à moi. Elle salue mon arrivée le matin en criant mon prénom avec jubilation. Parfois, le soir, elle me retient par le bras pour m’empêcher de partir. Elle sait aussi quels sont les comportements qui m’agacent et prend un malin plaisir à me provoquer en me regardant droit dans les yeux pour que je la punisse et lui demande de sortir du groupe. Myriam joue à cache-cache, au sens propre comme au sens figuré : elle aime se cacher sous la table et sans doute a-t-elle aussi besoin de vérifier ma présence, de s’assurer que le soignant-maman sera toujours là pour s’occuper d’elle. L’équipe intègre au jour le jour les mouvements psychiques de Myriam : nous tentons de contenir son excitation en lui donnant forme et en l’aidant ainsi à affronter ses émotions de jeune fille.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .