« Jo, ce n’est pas une fille? »

N° 193 - Décembre 2014
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Jo, un jeune homme qui souffre d’autisme, a bien du mal à situer son identité sexuée et multiplie les tentatives pour être intégré au « groupe filles ».

Jo est un jeune homme de 15 ans, d’origine malienne, qui souffre de troubles autistiques depuis l’enfance. Il est grand, délicat et plutôt efféminé. Il est le deuxième d’une fratrie de quatre enfants avec des parents séparés. Récemment, il a eu une petite sœur, Yaël, dont il ne veut pas entendre parler : « Moi pas petite sœur », répète-t-il avec une grimace de dégoût en tournant le dos à son interlocuteur. Agité en permanence, il ne peut s’empêcher de sauter sur ses pieds. Lors des entretiens familiaux avec le médecin, il ne supporte pas d’être assis à côté de sa mère s’il n’a pas la tête couverte d’un foulard ou d’une casquette.
Jo a une passion : depuis l’enfance, il adore se déguiser en fille et jouer à la poupée. Petit, il se fabriquait des robes et des coiffures traditionnelles avec des bouts de tissus jusqu’à ce que sa mère le lui interdise, vers l’âge de 6 ans. Il s’est alors mis à dessiner des poupées africaines et à leur confectionner des vêtements en papier et des cheveux en laine. À l’hôpital de jour (HDJ) il range ses créations dans son casier ou les accroche au mur dans le secrétariat, le bureau de la cadre, l’infirmerie… Tout l’établissement est décoré de ses belles poupées.

Du groupe filles au groupe garçons

Jo a longtemps voulu faire parti du « groupe filles », espace protégé, où nous évoquons l’adolescence, la santé et la sexualité. Chaque vendredi matin, il se postait devant l’entrée de la salle en nous réclamant : « Jo groupe filles ». Nous lui répondions inlassablement qu’il ne pouvait pas en faire partie. Pour nous, il s’agissait surtout ici de préserver le groupe. Il se dirigeait alors vers chaque participante du groupe en l’interpellant : « Myriam, tu vas au groupe filles? Samantha, tu vas au groupe filles? – Marilyn?… ». Même sans participer à l’atelier, Jo connaissait les dates des sorties prévues à la piscine ou au hammam. Un matin, il nous a mis dans les bras une poupée en papier ressemblant à un bébé pour que nous l’emportions au groupe filles. Nous avons accepté de l’emmener une seule fois et avons posé la poupée sur la table en expliquant le désir de Jo aux adolescentes. Les sollicitations diverses de ce jeune homme n’ont jamais paru déranger les jeunes filles, qui ont l’air de le considérer comme un être asexué. Selon nous, il devait s’imaginer que dans cet atelier nous passions notre temps à nous coiffer, nous maquiller, et nous parer de beaux vêtements, ce qu’il ne peut pas faire chez lui.
Le temps passant, Jo a un peu lâché le groupe filles pour se concentrer davantage sur ses poupées, qui de fillettes se sont transformées en de jeunes femmes habillées pour des mariages ou des fêtes. Mais il lui reste ses questions autour de son identité sexuée et de celle des autres : « Est-ce que tu es une fille? Jo, ce n’est pas une fille? Mara, c’est pas un homme? Virginie c’est pas un garçon?… »
En septembre, nous avons mis en place un groupe garçons avec un collègue éducateur et avons souhaité y inscrire Jo. Nous pensions qu’il pourrait y trouver un espace et un temps pour l’aider. Jo est venu avec une demande : « ventre grossesse » qu’il a exprimé lors de la première réunion, en montrant l’image d’une femme en train d’accoucher. Il regardait son ventre en disant : « moi non bébé mon ventre ». Cela nous a renvoyées à son déni par rapport à sa mère, puisqu’il paraît refuser qu’elle ait porté un bébé, sa petite sœur Yaël qu’il ne nomme jamais. Sa question est peut-être : « Qui porte un bébé? Qui m’a porté? » Durant le groupe il s’excite beaucoup, fait des bonds sur sa chaise, des bruits, des rires et de petits cris. Puis il prend une feuille et dessine un garçon et une fille l’un à côté de l’autre.

« Difficile… »

Pour Jo, la participation à ce groupe reste difficile, voire violente. Il y a peu de temps, Jo nous a dit gravement : « Groupe garçon ». Mara, l’éducatrice, lui a demandé si c’était difficile et il a répété : « Difficile.
– Veux-tu venir au groupe garçon?, a repris Mara.
– Oui. »
Nous avons parfois l’impression que Jo participe à ce groupe parce que nous animons aussi le groupe fille. Comme s’il y avait une porosité entre les deux et que les espaces garçon et fille se rejoignaient à travers nous dans son esprit. Malgré tout, ce nouvel espace garçon sera peut-être une porte ouverte pour rencontrer Jo en tant qu’adolescent dans un groupe protégé

Mara Volpi, Éducatrice, et Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, ASM-13.