Faire chanter le soin

N° 228 - Mai 2018
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David, 15 ans, est un adolescent autiste très régressé avec qui il est extrêmement difficile de communiquer. La musique parvient pourtant à l’émouvoir.

David, 15 ans, est un patient autiste très déficitaire. Sans relations à l’autre ni langage, il présente des conduites de masturbation et d’automutilation (1). Après une admission éprouvante, au cours de laquelle il jouait quotidiennement avec ses excréments, jeunes et soignants se sont finalement peu à peu habitués à sa présence envahissante. David bondit toujours le long des murs de la cour, à pieds joints, en grognant de plaisir. Tel un enfant sauvage, il passe de longs moments dehors sans chaussure à explorer son environnement. Il arrache des fleurs pour les manger et les recracher, bouche les trous dans les murs avec ses doigts, marche en équilibre sur les bords du jardinet, funambule indifférent à la pluie, au vent, au froid. Quand il rencontre un obstacle sur son passage, par exemple un autre patient, il cherche à le prendre dans ses bras. Certains acceptent volontiers ses embrassades et serrent David contre eux, comme un tout-petit.
David a intégré des groupes de psychomotricité : la danse, les percussions et le sport, sur de courts moments, car sa présence nécessite un soutien individuel lié à ses difficultés pour s’asseoir, ôter ses chaussures et les remettre, suivre des consignes, aussi simples soientelles. David n’est jamais là, avec nous, avec les autres, et paraît évoluer dans un autre espace, auquel il souhaite se frotter, adhérer en se couchant par terre, ou bien en le remplissant de ses chants aux consonances inconnues. D’origine indienne, ses parents reconnaissent parfois dans son babil quelques mots proches de l’hindi, qu’ils pratiquent parfois chez eux avec leur plus jeune fille.

Le langage universel de la musique

Chaque jeudi, David participe au groupe informatique, que je coanime. Nous l’installons devant un ordinateur un peu à part, pour laisser les autres jeunes tranquilles à leurs exercices de maths et de français. Et puis nous lançons la musique! Pendant plusieurs mois, le jeune homme a regardé sur YouTube des vidéos de tabla, un instrument de percussion indienne. Attentif au rythme et au mouvement des interprètes, il restait captivé par la musique pendant presque 40 minutes, sans se lever ni hurler ni se masturber… Plié sur sa chaise, l’oreille gauche tendue vers le haut-parleur, il tapotait sur sa table, comme s’il essayait de reproduire les sons. Il aime les tambours et les percussions. La musique nous aide d’ailleurs à le calmer lorsqu’il attaque encore parfois son corps en se cognant la tête et en se frappant violemment l’oreille lors de ses crises de pleurs. Un jour, j’ai envie de lui faire écouter de l’opéra. C’est une musique que j’aime et que j’ai découverte très tard, frappée par l’émotion et la pureté des instruments et des voix qui racontent des histoires humaines…
Je choisis l’air de la Reine de la nuit dans la Flûte enchantée de Mozart, avec la voix claire de Natalie Dessay. David redresse soudain la tête, attentif. Il n’exprime pas la surprise mais paraît extrêmement concentré sur sa sensation, ce son cristallin qui entre dans ses oreilles et se diffuse dans son corps. La Reine hurle de rage contre sa fille, lui ordonnant de tuer son ennemi, Sarastro, sans quoi elle la reniera. Nous sommes à l’acmé de l’amour et de la haine entre une mère et sa fille et la voix de la soprano s’envole. David est toujours immobile et absorbé. Tout à coup, une grosse larme emplit son œil et coule le long de sa joue. Il ne pleure pas, ne l’essuie pas, mais reste comme hypnotisé, tout au long du morceau, comme si cet air-là avait fait naître une émotion nouvelle, inconnue et belle. Lorsque le morceau se termine, il sautille un peu sur sa chaise. J’enchaîne avec d’autres grands airs…

Émotion et soin

 Mes collègues à qui je rapporte ce moment sont amusées par mon enthousiasme et touchées par l’émotion de David. Je me demande s’il n’a pas eu accès, quelques secondes, à la beauté et que cette larme en a été le témoin furtif. Partager quelques secondes d’émotion avec ce patient autiste très régressé, c’est déjà commencer à inventer du soin…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Voir Les limites de l’institution…, Les petits bonheurs du soin, n° 224, janvier 2018.

Pack MEDIATIONS

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N° 172 Le cadre thérapeutique
N° 189 Des jeux pour soigner en psychiatrie
N° 226 Des activités "thérapeutiques"
N° 236 Les groupes de parole
N° 255 Médiation animale en psychiatrie

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