Dessous de filles

N° 184 - Janvier 2014
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Le groupe « soins et beauté » permet d’évoquer tout ce qui touche à la sexualité, la féminité et la puberté. Aujourd’hui, les adolescentes explorent le soutien-gorge…

Le groupe « soins et beauté », que nous appelons entre nous le « groupe filles », permet de parler de tout ce qui touche à la sexualité et à la puberté (1). Il est animé par trois soignantes, Mara, éducatrice, Éva, aide médico-psychologique et moi, infirmière. Ce groupe accueille cinq adolescentes de l’hôpital de jour entre 14 et 21 ans : Marion, Myriam, Marilyn, Estelle et Émilie. Cette dernière a été admise en septembre. Comme Myriam, qui ne prononce que quelques mots, Émilie se présente sur un mode défensif et déficitaire. Elle passe sa journée à crier des mots et a besoin de se tenir à l’écart des autres : elle reste souvent le visage caché entre ses mains et n’accepte de regarder un interlocuteur qu’au bout de quelques rencontres. Comme sa mère d’origine asiatique, Émilie a de très beaux cheveux lisses, épais et très noirs, dont elle se sert pour dissimuler son visage.

Toucher …

Ce jour-là, nous avons décidé d’évoquer les sous-vêtements, et plus précisément les soutiens-gorge. En effet, Mara a remarqué par exemple que Marion a du mal à courir au groupe sport parce qu’elle ne porte pas de soutien-gorge adapté à sa forte poitrine. Elle se tient toujours le dos rond, comme si elle ne savait pas quoi faire de ses seins et préférait se plier en deux pour les cacher de la vue des garçons.
Chacune des soignantes a apporté de ses fonds de placard différents modèles. Nous les étalons comme au marché. Certaines jeunes filles pouffent et se cachent le visage. Marion met les mains sur sa poitrine comme pour vérifier que son propre soutien-gorge n’a pas disparu. De mon côté, de retour d’un récent congé de maternité, j’ai apporté une brassière de grossesse grande taille. Estelle s’en empare et affirme qu’elle en porte. Elle connaît même sa taille. Pédagogue, je montre au groupe les larges bretelles pour le maintien des seins et le tissu plutôt épais et résistant. Mara précise qu’une brassière de sport doit également bien tenir la poitrine sans la compresser. Marion écoute attentivement. Elle ne connaît pas sa taille mais quand je lui demande si ses seins sont petits, moyens ou grands, elle me répond « petits ». Émilie brandit un petit soutien-gorge balconnet à fleurs plutôt romantique et répète « soutien-gorge, soutien-gorge ». Éva raconte qu’elle le portait quand elle était jeune fille. « Maintenant je suis une maman, dit-elle, mes seins sont devenus gros ». Là encore, c’est l’occasion de parler confort et maintien.

Voir …

 Estelle sort alors de son sac un catalogue de vente par correspondance. Plusieurs pages présentent des sous-vêtements sexy avec des porte-jarretelles, bas et guêpières rouges et noirs. Les filles rient et Estelle tourne les pages en tremblant, avec une excitation assez évidente. Marion laisse échapper : « C’est dégoûtant, les filles qui mettent ça, c’est vraiment, vraiment dégoûtant. »
« Est-ce qu’on porte de tels sous vêtements pour venir à l’hôpital de jour ? » interroge Mara, goguenarde. « Nooooooon! » claironne le groupe en chœur. « C’est pour le soir, bégaie Estelle. Pour séduire les hommes ». Nous confirmons. Je feuillette et Marion pousse un cri devant un string à plumes sur un mannequin aux fesses bien charnues. Je leur demande : « Et ça, qu’estce que c’est? » Hésitations dans notre petit groupe… Je poursuis alors : « Un string! » Estelle, de plus en plus rouge, interroge : « Est-ce que ça existe pour les hommes ? » Nous glissons dans le catalogue vers les sousvêtements masculins, et nous esclaffons devant des strings panthère, léopard…

Rêver et oser

Le groupe filles est ainsi une bonne occasion d’aborder simplement et franchement des questions complexes. Souvent, ces jeunes adolescentes n’ont pas d’autres lieux que celui-ci ni d’autres interlocutrices que nous pour aborder féminité, sexualité… Nous avons décidé de montrer des objets et de passer par le toucher, la vue, les photos pour que toutes comprennent bien les sujets abordés. Les fous rires libèrent, la confiance et la complicité viennent progressivement. Parfois, de petites victoires concrètes surviennent. Ainsi, depuis cette séance, Marion arrive au groupe sport avec une nouvelle brassière adaptée qu’elle a su demander et obtenir de sa mère.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1 – Ce groupe « soins et beauté » a déjà été évoqué dans les n° 172, 175 et 179 de Santé mentale.