De l’air pour Baptiste

N° 205 - Février 2016
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Subitement, Baptiste, 17 ans, cesse de parler… Plus un mot ne sort de sa bouche. Que se passe-t-il ? Par le jeu et la ruse, les soignants l’aident à retrouver la parole.

À 17 ans, Baptiste est un grand et beau jeune homme au teint doré et aux yeux vert clair, qui souffre d’importants troubles du comportement et que nous accueillons depuis trois ans à l’hôpital de jour. Jusque-là, il était bien intégré aux activités ou dans le groupe, mais subitement, depuis quelques mois, il a cessé de parler.

«?Mon fils est comme moi»

Baptiste vit avec sa mère et est entouré de femmes : sœurs, cousines, amies. Son père a quitté le domicile sans donner de nouvelles quand il avait 3 ans. Sa mère, qui est suivie au centre médico-psychologique (CMP), s’appuie beaucoup sur son fils pour le quotidien. Elle présente une personnalité fragile et hystérique et demande à ce que Baptiste reçoive un traitement médicamenteux identique au sien puisqu’« il est comme moi » penset-elle. En entretien familial, il est toujours difficile de savoir si elle parle d’elle ou de son fils. Tout est confus. Baptiste tente à sa manière de se décoller de sa mère. Nous sentons qu’il a besoin d’air, et nous le soutenons dans ses tentatives pour prendre de la distance. C’est un jeune homme sensible qui nous touche par sa candeur mais nous agace aussi souvent par ses cris. Il aime ce qui vole, le souffle, le mouvement. Pour lui, l’air, c’est le changement. Il est fasciné par les ballons à l’hélium. Il aime aussi faire voler des feuilles de papier blanches dans la cour.
Du jour au lendemain, Baptiste a donc décidé d’arrêter de parler. Enfant, il n’a parlé qu’à l’âge de 7 ans. Sa mère raconte que, totalement désemparée après avoir consulté plusieurs orthophonistes, elle lui aurait intimé : « Baptiste, maintenant tu vas parler! » Et l’enfant aurait parlé. Très inquiète du retour de ce mutisme, cette maman demande à nous rencontrer.
Elle arrive avec un air tragique et s’assied à côté de son fils en lui serrant le bras. « Docteur je ne vais pas bien du tout, il faut m’aider. J’ai fait quelque chose de mal, Docteur, Dieu me punit. Il me punit à travers mon fils, car il ne va pas bien et moi non plus. C’est depuis la semaine dernière. Baptiste ne cessait de me poser les mêmes questions sur ses prochaines vacances, je me suis beaucoup énervée et je l’ai puni. Je l’ai enfermé dans sa chambre. Il a pleuré longuement. Ensuite, il ne m’a plus parlé. Je crois qu’il veut me punir comme Dieu veut me punir… »

Une voix grave

Si Baptiste ne dit plus un mot, il fait du bruit. Il frappe à toute force les balles du baby-foot. C’est un bon joueur et nous bataillons avec lui, en essayant de mettre des mots sur ses bruits : « Bouge! » Baptiste se met aussi à pointer du doigt ce qu’il veut. Quand il réclame une balle en la montrant, nous l’arrêtons tranquillement : « Tu peux demander avec des mots ce que tu veux, Baptiste. » Il refuse, fait de grands « non » avec la tête. Quand il comprend que ça ne marchera pas, il pousse un très long soupir et ses yeux deviennent vides. Il articule alors très doucement : « Je… peux… avoir… la… balle… Virginie… » Comme s’il était essoufflé et que parler lui demandait un effort terrible. Comme si cela le vidait de toute son énergie et de tout son souffle. Comme si sa tristesse était telle qu’il lui fallait fermer la bouche pour éviter de se vider de tout son sang, de toute son énergie vitale. Baptiste ne parle plus, car il n’a plus d’air, mais nous savons aussi que la parole lui a redonné de la vie quand, enfant, il a petit à petit accepté de sortir de son silence.
À l’hôpital de jour, cela se produit doucement, avec l’aide de chaque soignant. Petit à petit, en rusant, en jouant sur son désir, nous l’amenons à échanger des mots avec nous. Nous n’usons pas de baguette magique comme sa mère… Nous ne sommes pas des magiciens mais des soignants. Baptiste s’appuie ainsi beaucoup sur Michel, un éducateur à la grosse voix grave. Baptiste prend plaisir à discuter avec lui. Il doit avoir besoin de cette voix masculine qui lui manque à la maison. Parfois Baptiste, sans un mot, frappe violemment le baby-foot juste pour se faire sermonner par Michel. Il pleure quand il se fait reprendre et l’on peut à nouveau entendre sa voix entrecoupée de sanglots.
Pour parler à Michel, aux soignants, Baptiste retrouve peu à peu sa voix. Bientôt, il va partir en colonie de vacances. Il va prendre l’air, faire sa valise, partir à la mer. Loin de sa mère. Peut-être pourra-t-il changer et se transformer.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .