Dans le secret de l’isoloir

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Chaque jour, le café actu du CATTP réunit une dizaine de patients autour de questions d'actualités. C'est la période électorale, et le ton monte vite ! A chacun ses valeurs…

Ce matin, au « Café actu », Thomas a expliqué qu’il avait voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 parce qu’il pensait qu’il rétablirait l’ordre. Thomas souffre de schizophrénie et touche l’Allocation pour adulte handicapé (AAH). Il en a marre « des petits voyous qui (l’) emmerdent et lui ont piqué son scooter ». Il déteste ces jeunes qui fument du shit et lui rappellent peut-être sa propre adolescence… Sophie écoute en secouant la tête. C’est une jeune femme réfléchie, issue d’un milieu plutôt bourgeois. Elle renvoie à Thomas que Sarkozy est le président des riches : « La première chose qu’il a faite dès qu’il est arrivé au pouvoir, c’est de supprimer le bouclier fiscal. Tu crois peut-être qu’il en a quelque chose à faire de nous, les handicapés?
– Au moins lui, c’est pas un menteur comme tous les autres, se défend vertement Thomas. Il a dit qu’il augmenterait l’AAH de 25 % et il l’a fait !
– C’est bien la seule chose qu’il a faite alors », rétorque Sophie, qui s’insurge ensuite contre la promesse de référendum sur les allocations de chômage : « Tu sais, Thomas, là, ce sont les chômeurs qui ont été visés. Et nous, tu ne crois pas que nous pourrions être les prochains? Nous, les assistés ? Nous, les handicapés ? » Thomas baisse la tête sans répondre.

Pour un monde plus juste…

Au Café actu, les débats peuvent être vifs! Ceux qui prennent la parole sur l’actualité politique s’engagent haut et fort. Il y a Fabien, un patient bipolaire qui travaillait à la télévision et a fait les frais d’un plan de licenciement. Sans emploi depuis six ans, son état s’est dégradé. Son fils de 20 ans est aussi au chômage et Fabien est en colère « contre cette société de merde qui fout les vieux et les jeunes à la porte de l’emploi ». Au groupe informatique, il a mis en page le CV de son fils. Fabien apprécie le Café actu, même s’il a souvent du mal à sortir du lit avant midi. « Comment voulez-vous que je vote pour un type qui parle des Français qui se lèvent tôt? me lâche-t-il goguenard. De toute ma vie, je me suis rarement levé avant dix heures ! »
Il y a Jonathan, un jeune homme schizophrène et polytoxicomane qui, lui, adore Sarkozy et qui ne s’en cache pas. « Vous avez entendu parler notre Président en meeting ? Moi je suis fier d’avoir un pareil Président que le monde nous envie. »
Lily, psychotique, 68 ans, prend la parole et pèse ses mots : « Moi j’étais comme Thomas et Jonathan. En 2007, j’y ai cru et j’ai voté pour Sarkozy. Il parlait d’un monde plus juste pour tous. Il mettait en avant l’ordre, l’autorité, la sécurité. Vous savez, moi je suis vieille et je me suis déjà fait voler mon sac par des petits voyous. J’avais peur et je restais seule chez moi devant ma télévision. Alors j’avais un peu l’impression que le monde allait changer. Qu’on serait mieux protégé, plus en sécurité. Maintenant je viens ici et j’écoute Fabien, Sophie, Thomas. Je les écoute et je vois à quel point j’ai pu me tromper. Sarkozy n’a rien fait et j’ai toujours aussi peur de sortir, enfin moins parce que j’ai eu la chance de rencontrer ici Sophie qui habite pas loin de chez moi et qui me raccompagne souvent le soir. Je me rends compte qu’on n’obtient pas de l’aide en restant tout seul mais en allant vers les autres. » 

Un vote affectif

Les discussions autour de la politique et des actualités durent une bonne heure. Gauche, droite, centre, tous s’expriment autour du choix à faire dans les urnes. Thomas reste à la fin du groupe et attend que tout le monde soit parti : « Vous savez, Virginie, je ne l’ai pas dit à Sophie et aux autres mais j’ai une bonne raison pour voter à droite. Ma grand-mère a toujours voté à droite et j’ai toujours fait comme elle. Ma grand-mère a toujours su mieux que moi et je continue à suivre son avis pour tout. – Je suis d’accord avec vous, Thomas, lui ai-je dit. C’est une bonne raison pour voter à droite. Il y a ceux qui sont plus rationnels et votent pour des idées, d’autres sont plus dans l’affectif et votent pour la tête d’un candidat, d’autres votent blanc ou pas du tout. Vous, vous votez comme votre grand-mère parce que vous voulez lui montrer votre amour et votre fidélité. Vous avez raison de le faire si vous pensez que c’est le plus juste et vous n’avez pas à vous justifier devant les autres. » Thomas est parti avec le sourire comme si, pour lui, l’ordre des choses était à nouveau rétabli.

Virginie Jardel, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .