L’usage du téléphone portable en psychiatrie

Hors-série - Août 2016
FacebookTwitterLinkedInEmail

À l’hôpital, l’usage du téléphone portable pour les patients reste une question sensible car il n’est pas possible d’interdire une liberté ou un objet autorisé à l’extérieur de l’établissement. Que dit la loi ?

Organiser l’accueil en continu du public n’est jamais une tâche évidente pour un établissement de santé. Il est indispensable de réfléchir sereinement, et dans chaque service, à la manière dont les effets personnels peuvent être utilisés. C’est en effet à partir de règles clairement posées qu’il est possible d’éviter l’arbitraire face à des situations tristement banales.
Parmi les objets les plus symboliques du quotidien, le téléphone portable est sans doute celui qui génère le plus de microconflits, de tensions voire d’incidents entre les patients, les soignants et les responsables administratifs. Il permet en effet de maintenir en permanence des liens avec l’extérieur. Il suffit pour s’en convaincre d’observer, à la manière d’un sociologue, un groupe d’individus pendant quelques heures (1). Dans les entreprises et les administrations, les employeurs tentent d’ailleurs de fixer des règles afin d’imposer aux salariés de réduire le temps passé sur leur téléphone durant les heures de travail. Dans les services de psychiatrie, ces règles sont les mêmes qu’ailleurs, mais il faut aussi fixer un cadre « réglementaire » particulier pour les usagers (2) et leurs visiteurs.

Le respect de la liberté individuelle

Les supports de communication ont considérablement évolué ces dernières années tant dans leur forme (mails, SMS, MMS, Facebook, Instagram, Snapchat, Skype, Twitter…) que dans leur fréquence. Dans ces excès, ce phénomène aboutit à « l’hyper-connexion » (3) voire à une forme d’addiction (4). Il n’est donc pas surprenant qu’à l’hôpital les patients demandent à conserver leur portable. La réponse à cette requête, a priori parfaitement légitime, est parfois très différente d’un établissement à un autre. Pour sa part, le patient estime légitime de conserver des liens avec l’extérieur et de disposer d’un semblant de vie privée durant son séjour à l’hôpital, y compris lorsqu’il est soigné sous contrainte. De son côté, le personnel hospitalier considère parfois qu’il est de son devoir de prévenir un mésusage de l’objet pouvant conduire à exposer la vie privée des patients les plus vulnérables (protection de la vie privée, droit à l’image) et/ou de limiter certaines stimulations extérieures (pornographie, jeux en ligne…).
Ce droit fondamental au respect des libertés individuelles du patient est rappelé à l’article L.3211-3 du Code de la santé publique (CSP) : « (…) les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. (…) » Le principe reste donc la liberté de communiquer, et notamment avec son avocat si le patient souhaite contester sa prise en charge. Tant du point de vue juridique qu’éthique, une vigilance particulière doit donc être portée au respect des communications téléphoniques du patient avec son avocat dans le cadre de la préparation de l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Si le patient ne dispose pas de téléphone portable, il convient de lui faciliter l’accés à un téléphone fixe de l’unité de soins, en privilégiant un « point phone » afin de préserver le secret des échanges.

Une source de problématiques multiples

 • La conservation d’un téléphone portable durant un séjour à l’hôpital pose la question du risque de vol ou de casse. L’établissement n’est en effet pas tenu de mettre à disposition des coffres ni des armoires fermant à clé dans la chambre du patient. L’instauration d’un tel dispositif de protection des effets personnels est d’ailleurs fréquemment discutée par les équipes qui s’interrogent sur son statut juridique et sur la possibilité d’en faire un inventaire régulier afin de s’assurer qu’aucun objet ou substances illicites ne s’y trouve. L’établissement est en effet en droit de mettre en place un inventaire des objets personnels de tout patient pénétrant dans le service afin de s’assurer qu’aucun n’est interdit à l’hôpital. Cet inventaire doit être l’occasion d’exposer au patient les règles de l’établissement et de lui rappeler les principes de toute vie en collectivité, en particulier le respect des autres patients et du personnel (droit à l’image afin d’éviter la diffusion d’information privée sur internet). Cependant, il n’est pas possible au moment d’un inventaire d’exiger de consulter le contenu d’un téléphone. Si l’établissement accepte que le patient conserve par-devers lui son téléphone, l’objet reste sa propriété et un mésusage engage alors sa responsabilité civile voire pénale.
Si une procédure particulière d’utilisation du téléphone portable est organisée, demandant par exemple au patient de le déposer dans le bureau du cadre, la responsabilité indemnitaire de l’établissement pourra être engagée si le bien est volé ou détérioré dans le bureau.
En pratique, l’utilisation des téléphones portables dans les services pose des problèmes très concrets qu’il n’est pas toujours facile de réglementer. Ainsi, lorsqu’un patient n’est plus en mesure d’utiliser son propre mobile (forfait dépassé, téléphone cassé, batterie déchargée…), il arrive fréquemment qu’il sollicite l’équipe pour utiliser un téléphone fixe ou un ordinateur. Satisfaire à une telle demande suppose d’avoir préalablement établi des principes directeurs afin d’éviter tout conflit intuitu personnae (lié à la personne). 
L’évolution des technologies et des « appli » entraîne des problématiques nouvelles, liées à la prise de photographie, à la réalisation de vidéos, à l’enregistrement de conversations (par exemple lors d’entretiens médicaux), puis à leur mise en ligne sur les réseaux sociaux. De tels actes peuvent être préjudiciables aux autres patients (voire aux personnels) et porter atteinte à leur image et à leur dignité, en révélant leur suivi en établissement psychiatrique. Tenus de préserver la confidentialité des soins et de veiller au respect du secret professionnel, les services se trouvent ainsi souvent démunis face à ces situations et tentent parfois d’y répondre par des mesures préventives d’interdiction. Si l’essentiel de la responsabilité reste celle de l’auteur de la diffusion de l’information, le service doit mettre en œuvre une forme de protection des personnes les plus vulnérables. Celle-ci commence par une information claire destinée aux patients et aux visiteurs, consistant par exemple en une mention très précise dans le livret d’accueil et en un affichage au sein des unités de soins rappelant le cadre légal du droit à l’image et ses conséquences en termes de responsabilité personnelle (pécuniaire ou pénale) de la personne auteur d’un acte ayant porté préjudice à l’image d’un tiers.

Interdit d'interdire…

En France, depuis 1958, seul le législateur peut porter atteinte à une liberté fondamentale en organisant dans la loi un régime restrictif de liberté. Il n’existe pas de loi permettant d’interdire les communications des patients dans les services de psychiatrie. De manière pratique, au sein d’une unité de soins, l’utilisation des téléphones portables ne peut donc être interdite, puisque communiquer est une liberté individuelle fondamentale. Dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative (respect du bon ordre, de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité) et en sa qualité de chef de service, le directeur d’un établissement ne peut inscrire une telle interdiction au sein du règlement intérieur. Le juge bordelais (5) a ainsi récemment annulé une disposition d’un règlement intérieur interdisant l’usage d’une liberté individuelle fondamentale. Seule une restriction ponctuelle peut être inscrite dans le règlement, à condition d’être justifiée par un intérêt général suffisant et de ne pas faire peser sur la population prise en charge une présomption de mésusage de l’objet. Tel est le sens de cette jurisprudence, le juge ayant précisé que « l’ingérence (…) ne peut être légale que si elle répond à des finalités légitimes et qu’elle est adéquate et proportionnée au regard de ces finalités ».

…Mais réglementer de façon adaptée

La réglementation (et non l’interdiction) de l’usage des téléphones portables dans les services de psychiatrie doit donc faire l’objet d’une réflexion collective dans chaque service afin de trouver un équilibre entre le respect des droits fondamentaux de l’usager et ses devoirs. Juridiquement, deux types d’actes pourront être pris.
• Tout d’abord, des dispositions réglementaires doivent être destinées à l’ensemble des usagers d’un service (6). Il s’agit de fixer des règles concernant les horaires et les lieux d’usage des téléphones. Autorise-t-on par exemple les patients à téléphoner dans leur chambre et jusqu’à quelle heure ou à conserver en permanence leur cordon d’alimentation (sachant qu’un téléphone déchargé est souvent une cause de tension) ?
• Ensuite, des décisions individuelles peuvent être prises soit par le directeur (ou son représentant) soit par le psychiatre.
– Le directeur peut en effet d’accorder à l’usager une forme de faveur lui permettant d’utiliser son téléphone au-delà du cadre réglementaire (horaires, lieux…) ou au contraire de l’en empêcher car son comportement antérieur le justifie. Dans ce cas, l’interdiction temporaire peut être considérée par le juge comme une forme de sanction disciplinaire prononcée contre un usager ayant enfreint le règlement intérieur. Pour pouvoir être prononcée par l’autorité administrative, une telle sanction doit impérativement être préalablement inscrite dans le règlement intérieur et être proportionnée à la « faute commise » (mésusage de l’objet).
– Le psychiatre peut également décider de réduire voire d’interdire provisoirement à un patient de conserver son téléphone s’il estime que son usage n’est pas adapté à son état de santé : entrée en chambre d’isolement ou pathologie particulière. Il s’agit alors d’une « prescription » d’ordre médical.

En conclusion

L’usage du téléphone portable dans les services de psychiatrie est parfaitement révélateur des difficultés rencontrées au quotidien. Il n’est en effet pas possible d’interdire systématiquement une liberté ou un objet autorisé à l’extérieur. Dans le même temps, il convient de trouver un mode de fonctionnement éthique. Il ne faut surtout pas vouloir tout réglementer par des normes rigides. Trop de droit tue le droit mais l’absence de règles crée un sentiment d’arbitraire.

Éric Péchillon, Maître de conférences, université de Rennes 1, et Valériane Dujardin, Juriste, EPSM Lille-Métropole

1– À titre de simple illustration, voir l’étude de la sociologue Joëlle Menrath, spécialiste des usages téléphoniques et mobiles : http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/ telephone-portable-un-exces-oui-mais-pas-de-veritable-addiction_1410994.html
2– Pour exemple l’article R. 1112-54 CSP règlemente ainsi l’usage des téléphones fixes : « Les hospitalisés utilisant le téléphone acquittent les taxes correspondantes. Ils peuvent recevoir des communications téléphoniques dans la mesure où celles-ci ne gênent pas le fonctionnement des services. »
3– http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3421
4– Laurent Schmitt (professeur de psychiatrie). L’addiction à internet : une nouvelle maladie? www.huffingtonpost.fr/laurent-schmitt/addiction-internet_b_4344040.html
5– CAA de Bordeaux, 6 novembre 2012, N° 11BX01790
6– Exemple sur le modèle de l’article R. 1112-55 du CSP : « Les appareils de télévision ne peuvent être introduits à l’hôpital qu’avec l’autorisation du directeur. En aucun cas, les récepteurs de radio, de télévision ou autres appareils sonores ne doivent gêner le repos du malade ou de ses voisins. »