Comment contrôler les effets personnels des patients?

N° 211 - Octobre 2016
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Tenus de garantir la sécurité des patients, les services de psychiatrie doivent organiser une surveillance de leurs effets personnels, avec une obligation de moyens, dans le respect de leurs droits fondamentaux.

Les services de psychiatrie accueillent des patients avec des profils et surtout des statuts très différents. Afin de remplir les obligations légales qui pèsent sur eux, ils sont tenus de prévoir des procédures pour garantir la sécurité des usagers, la qualité des soins et le respect des droits fondamentaux de la personne prise en charge. Cette triple mission impose de définir préalablement un cadre réglementaire permettant aux personnels de prendre quotidiennement des décisions individuelles adaptées aux circonstances, tout en respectant les normes supérieures (Constitution, Convention européenne des droits de l’homme…). Le cadre est ainsi en tension entre des enjeux différents.

La faute de l'établissement

Ce sont souvent des affaires dramatiques qui offrent l’occasion de s’interroger sur la manière optimale d’organiser un service.
L’affaire jugée par la Cour administrative de Marseille (1), le 11 juillet 2011, est symptomatique des injonctions contradictoires qui pèsent sur les établissements de santé. Mlle C., souffrant de troubles importants du comportement caractérisés notamment par des conduites à risques, a été hospitalisée sous contrainte en février 2005. En échange de cigarettes, elle s’est procuré du Subutex® (2) auprès d’un autre patient toxicomane, M. A., admis lui en soins libres, qui avait gardé par-devers lui des cachets prescrits par des médecins de ville avant son hospitalisation.
Suite à cette transaction, « la patiente est décédée d’un syndrome asphyxique sur inhalation bronchique de liquide gastrique favorisé par une surdose médicamenteuse résultant d’une inhalation massive de Subutex®, alors qu’elle était déjà sous antidépresseurs ».
Dans un premier temps, des poursuites pénales ont été engagées contre le patient qui a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour homicide involontaire et à verser un euro symbolique de dommages et intérêts aux parents de la victime. Dans un second temps, la famille a engagé un recours en responsabilité contre l’établissement afin de faire constater l’existence d’une faute résultant d’une mauvaise organisation du service et d’une surveillance insuffisante des objets et produits laissés en possession des patients.
Deux questions se posaient dans cette affaire :
– un établissement commet-il une faute en plaçant dans un même service des patients aux statuts différents, sans modifier en conséquence la surveillance de l’ensemble des patients ;
– peut-on engager la responsabilité du service pour ne pas avoir découvert un produit potentiellement dangereux dans les effets personnels d’un patient ?
En appel, la Cour marseillaise va reconnaître la faute de l’établissement et ouvrir le débat sur les limites de « l’inventaire ». Selon elle, « alors que leurs statuts d’hospitalisation les soumettaient à des contraintes différentes, empêchant notamment que M. A. et ses affaires fussent fouillés à l’entrée dans le service hospitalier, le seul fait que Mlle C. ait pu se procurer une substance dangereuse dans l’enceinte de l’unité où elle était hébergée révèle, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, une défaillance dans la surveillance constante qu’il devait lui garantir (…); que le centre hospitalier n’est pas fondé à soutenir qu’aucun élément ne permettait de craindre que des substances dangereuses pussent passer de l’un à l’autre dans l’enceinte du service, et par suite qu’aucun défaut dans la vigilance exercée tant sur la victime que sur M. A. ne peut lui être reproché, alors d’une part que le fonctionnement du service ayant permis à M. A. de proposer à Mlle C. la substance fatale ne correspondait pas aux principes d’organisation sur lesquels l’habilitation préfectorale à soigner les personnes hospitalisées sous contrainte lui avait été délivrée, et d’autre part qu’en réponse à la demande de l’infirmière ayant procédé aux formalités d’entrée de M. A., ce dernier, vidant ses poches, lui avait remis une plaquette de Subutex® et qu’il était donc envisageable qu’il en détînt encore dans ses autres affaires ; qu’ainsi le défaut sus-évoqué dans l’organisation et le fonctionnement du service est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire ».

Fouilles et palpations

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette affaire.
Il existe bien une obligation de sécurité à la charge des établissements et des professionnels de santé qui doivent tout mettre en œuvre pour protéger les patients. Il s’agit d’une obligation de moyens, et non de résultat, et son intensité varie en fonction du profil et du statut des personnes accueillies dans chaque service. Cela signifie que le juge ne considère pas systématiquement fautif un établissement à chaque fois qu’un dommage est subi par un patient suite à l’intrusion d’un objet de l’extérieur. En revanche, il examine a posteriori si, compte tenu des circonstances, le service a usé de moyens adaptés et proportionnés pour éviter la survenance du dommage.
– Concrètement, cela suppose une organisation réglementaire de chaque service suffisamment précise pour permettre aux personnels de contrôler les effets à chaque fois que les circonstances l’imposent. N’oublions pas que l’on ne peut soumettre l’ensemble des patients aux mêmes obligations et qu’il convient à chaque instant de les adapter à leur état de santé, au caractère contraint des soins, aux signes manifestes de risque suicidaire ou d’agression, aux antécédents connus…
En pratique, il faut déployer des trésors d’imagination pour organiser un contrôle efficace et pertinent des effets personnels des patients, tout en restant dans les limites de la loi. En effet, depuis longtemps, les juges insistent sur le fait que la fouille des patients est interdite. La fouille est autorisée par le législateur uniquement dans une dimension pénale très proche du droit de la perquisition. Ainsi, seul un officier de police judiciaire peut procéder à ce type d’acte et uniquement en cas d’enquête en flagrance, d’enquête préliminaire ou de commission rogatoire. Si la personne est soupçonnée de cacher un produit à l’intérieur de son corps (vagin, rectum…), la fouille ne pourra alors être effectuée que par un médecin dans le cadre d’une opération de police judiciaire.
De la même manière, les palpations de sécurité, strictement encadrées par le droit (3), sont réservées à certaines professions (force de l’ordre, agents de sécurité) et à certaines situations, aujourd’hui codifiées au code de la sécurité intérieure. Il est donc important de proscrire les termes de « fouilles » et de « palpation » du vocabulaire hospitalier. Étant dépourvu de toute fonction judiciaire, l’inventaire des effets personnels ne peut avoir lieu qu’avec l’assentiment et même, dans l’idéal, la participation du patient qui montre aux personnels de l’établissement les biens en sa possession. De fait, stricto sensu, les professionnels de santé ne sont pas habilités à ouvrir les valises, les sacs, les sacs à main, les portefeuilles… sans l’accord de l’intéressé. 

Les mesures de contrôle adaptées

Pour autant, le directeur de l’établissement ne doit pas rester inactif face aux risques d’intrusion d’objets « dangereux » dans les services. Pour ce faire, comme tout chef de service, il dispose d’un pouvoir de police administrative en vertu duquel il est responsable du bon ordre, de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité de l’établissement. Pour exercer cette fonction, il est habilité et même dans l’obligation de prendre des mesures adaptées et proportionnées visant à garantir la sécurité des personnes hospitalisées, des personnels et des visiteurs.
– Tout d’abord, il doit donc prévoir dans le règlement intérieur de l’établissement des dispositions permettant de procéder à tout moment à l’inventaire des effets personnels des patients. Sur ce point, il est très important d’être attentif à la manière dont cette procédure sera inscrite dans les textes. D’un strict point rédactionnel, il est recommandé de ne pas prévoir un inventaire systématique à chaque admission ou retour de permission d’un patient. Une telle mention contribuerait à créer une obligation de résultat à la charge des personnels. Le service commettrait en effet une faute en n’appliquant pas une disposition de son propre règlement. Il est préférable de privilégier une formule moins contraignante pour les personnels, comme « tout patient pourra se voir proposer la réalisation d’un inventaire de ses effets personnels en sa présence afin de… ».
– Ensuite, pour faciliter cette tâche et éviter tout risque d’arbitraire, il faut dresser la liste des catégories d’objets personnels non autorisés dans le service. Il serait vain de prétendre dresser une liste exhaustive de produits interdits. L’objectif est surtout de faire un point avec le patient sur la compatibilité des objets conservés durant son séjour et de l’inviter à se défaire de ceux qui ne sont pas compatibles avec son état de santé (lames de rasoir, ceinture…). De même, cette mesure de contrôle permet de prévenir la détention d’armes, de produits illicites, de substances psychoactives, de médicaments, au nom de la sécurité des biens et des personnes.
– Dans le même ordre d’idée, il est souhaitable d’inviter les visiteurs à signaler aux professionnels la remise de denrées ou d’objets à la personne visitée. Le Code de la santé publique vient appuyer une telle sollicitation (4), notifiant que les professionnels doivent veiller à l’absence d’introduction de divers produits : « Les visiteurs et les malades ne doivent introduire dans l’établissement ni boissons alcoolisées ni médicaments, sauf accord du médecin en ce qui concerne les médicaments. Le cadre infirmier du service s’oppose, dans l’intérêt du malade, à la remise à celui-ci de denrées ou boissons même non alcoolisées qui ne sont pas compatibles avec le régime alimentaire prescrit. Les denrées et boissons introduites en fraude sont restituées aux visiteurs ou à défaut détruites. Les animaux domestiques, à l’exception des chiens-guides d’aveugles, ne peuvent être introduits dans l’enceinte de l’hôpital. »
Ces dispositions réglementaires, en sus de leur inscription au sein du règlement intérieur, peuvent être affichées au sein de l’unité de soins afin de faciliter la mise en place des mesures de contrôle des effets des personnes.

Éric Péchillon, Juriste, Professeur des Universités, Université Bretagne-Sud, et Valériane Dujardin, Juriste, EPSM Lille-Métropole

1– Cour Administrative d’Appel de Marseille, N° 09MA01562, 11 juillet 2005.
2– Rappelons que le Subutex® est un traitement substitutif de la dépendance aux opioïdes.
3– Loi 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.
4– Article R1112-48 du Code de la santé publique.