Une place dans le groupe

N° 179 - Juin 2013
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Colère, rage, jalousie… Dans ses relations aux autres, la jeune Marion est en proie à de vives émotions, qu’elle a du mal à verbaliser. Le groupe « fille » va l’y aider.

Marion, 14 ans, a intégré l’hôpital de jour depuis quelques mois. C’est une grande et jolie jeune fille blonde, plutôt avenante, qui se tient timidement derrière sa maman lorsqu’elle vient visiter les lieux. Malgré son sourire, elle a le regard vide et paraît figée. Elle cherche visiblement quelqu’un à qui s’accrocher. Elle répète aux soignantes et aux adolescentes qu’elle croise : « Bonjour, comment tu t’appelles? », et enchaîne sans vraiment attendre la réponse : « Oh, comme tu as un joli pull, une jolie robe… » Comme si toutes les personnes autour d’elles n’étaient qu’un magma indifférencié de présences. Audrey, la psychiatre, la salue et Marion lui tend une main molle sans la regarder. « Tu te souviens, je suis ton médecin référent, nous nous sommes vues en entretien avec ta maman lors de ton admission… ». Mais l’adolescente détourne la tête, les paroles d’Audrey glissent sur elle.
Marion a passé toute son enfance dans un hôpital de jour pour enfants psychotiques et autistes. Elle souffre d’une psychose infantile déficitaire et présente de grandes difficultés d’acquisition de la lecture et de l’écriture, malgré un langage oral spontané plutôt bon et une vie imaginative très riche. Elle reste souvent assise, un livre sur les genoux, le regard plongé dans des images qui la fascinent. Très émotive, elle passe facilement du rire aux larmes.

« C’est nul… »

Au fil des mois, nous découvrons une nouvelle facette de Marion. Elle se met souvent en colère et adopte une attitude d’opposition proche de celle des jeunes enfants avec le « non ». Ainsi, avant chaque groupe thérapeutique, elle paraît mécontente et repliée sur elle-même, bras croisés, visage fermé et moue boudeuse : « C’est nul, ce groupe, ça m’intéresse pas du tout, je ne veux pas y aller. » Les soignants l’encouragent de multiples façons, puis brandissent la menace d’un envoi dans le bureau de Gladis, notre cadre de proximité. Marion cède alors et retrouve sa bonne humeur en participant aux activités proposées.
Un matin, juste avant de commencer le groupe « fille », nous trouvons Marion en pleurs dans la grande salle de l’hôpital, au milieu des autres jeunes. Samantha, une autre adolescente, semble très gênée quand nous lui demandons ce qui se passe et c’est Marylin qui nous explique comme elle peut la situation. À son arrivé ce matin, Marion s’est assise à côté de Samantha, dont elle aime admirer les nombreux bijoux et les ongles vernis avec soin. Soudain, Samantha s’est levée pour rejoindre son petit ami, suivie par Marylin. Marion, seule et abandonnée, a alors fondu en larmes.

Une matinée difficile

Dès lors, que faire de ce temps « entre filles » après ce « drame »? Marion se calme mais garde les yeux rouges. Myriam la fixe avec insistance, lui touche le bras et dit, en se tournant vers nous : « Fâchée, fâchée. » Samantha, prostrée, se cache le visage. Après un long silence, ma collègue Mara explique : « Je crois que la matinée n’était pas très facile pour Marion et que peut-être nous pourrions en parler ensemble… » Nous ne revenons pas sur l’événement luimême mais nous évoquons ce qui se passe quand on pleure, quand ça déborde à l’intérieur à cause de la colère, de la rage. Chacune exprime sa manière de réagir.
Marion explique combien elle s’est sentie transparente quand Samantha s’est éloignée. Je prononce le mot jalousie. Samantha dit qu’elle déteste quand sa mère prend ses sœurs dans les bras. Nous regardons Myriam, qui a très récemment arraché une grosse touffe de cheveux à sa petite sœur de 2 ans, à tel point que sa mère se demande si ce n’est pas dangereux de les laisser seules toutes les deux. « Toi aussi, Myriam, je crois que tu es parfois jalouse de ta petite sœur… » Myriam acquiesce.
Marion a séché ses larmes et retrouvé son sourire. Samantha lui tient la main en sortant de la pièce. Nous rappelons le principe de confidentialité du groupe, car Marion évoque souvent ce qui s’y passe et ce que disent les autres à table ou ailleurs, sans retenue ni réserve. Nous l’aidons ainsi à garder en elle ce qui concerne ce groupe féminin, pour y réfléchir ou s’y référer lors de la prochaine séance. Peut-être se souviendra-t-elle positivement de cette expérience de verbalisation de ses émotions.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .