Une minute de silence…

N° 195 - Février 2015
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L’onde de choc ressentie après l’attentat meurtrier perpétré contre Charlie hebdo a gagné l’hôpital de jour, où les soignants tentent de rassurer les patients.

Jeudi 8 janvier 2015, à l’hôpital de jour (HDJ), nous avons observé une minute de silence en hommage aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. À midi, nous nous sommes tous réunis, soignants et patients, pour nous recueillir.

« Moi aussi ils vont me tuer ? »

Ce fut un moment assez fort et solennel, même si quelques rires un peu angoissés ont fusé pendant cette longue minute où nous étions tous assis en rond, les yeux baissés… Une minute de silence, c’est interminable pour les quelques jeunes qui n’ont que peu accès à la pensée abstraite et qui vivent dans l’immédiateté. C’est aussi un temps de retour sur soi, de recueillement, de pensée commune. À quoi ont pensé les adolescents durant ce moment? Mis à part quelques jeunes très régressés qui n’ont peut-être pas compris ce dont nous parlions, l’événement a plutôt effrayé et surtout beaucoup questionné ces adolescents psychotiques et autistes.
Ce jour-là, certains jeunes ne sont pas venus à l’HDJ car leurs parents ont eu peur. Leurs familles d’origine africaine ont fui la guerre pour venir s’installer en France. Cet attentat a pu leur rappeler des violences de guerre insupportables. Rappelons que nous étions le lendemain de la tuerie et que les terroristes n’avaient pas encore été arrêtés. À Paris, un sentiment de crainte diffus avait vidé les transports publics ce matin-là. Des parents ont préféré se déplacer en voiture pour conduire eux-mêmes leur enfant à l’hôpital. « Estce que moi aussi ils vont me tuer? », nous demandaient certains jeunes en fixant la porte d’entrée comme s’ils redoutaient que des terroristes ne pénètrent dans les lieux. Beaucoup avaient entendu parler de tueurs en fuite dans Paris et avaient fait des cauchemars. C’était comme si soudain l’information les concernait. Les jeunes qui regardent le journal télévisé ou déchiffrent quelques phrases des quotidiens gratuits n’imaginent pas que l’actualité puisse influencer leur quotidien. Pour eux, les attentats ont provoqué une fissure, soudain, le danger pouvait venir de partout.
Stephen, un adolescent délirant qui parle seul dans la rue et invective des ennemis imaginaires, a décrété qu’il ne sortirait pas avec le groupe randonnée car Paris était devenu trop dangereux. « D’ailleurs toutes les sorties scolaires ont été annulées et tous les gymnases et les piscines sont fermés, c’est bien parce que toute sortie à l’extérieur est devenue périlleuse. »

Le temps des questions

Après la manifestation silencieuse du 11 janvier, de nouvelles questions ont surgi. Comme beaucoup de jeunes de leur âge, les ados de l’HDJ ne connaissaient pas Charlie Hebdo. « Pourquoi ils ont tué Charlie ? », demandaient-ils, pensant qu’un journaliste nommé Charlie avait été tué. Beaucoup de jeunes, sans être allés à la marche, scandaient le slogan « Je suis Charlie » en souriant.
Chez certains patients, la question de la religion a un peu émergé. Au repas de midi, nombreux sont ceux qui repèrent qui mangent du porc ou pas.
« Est-ce qu’ils ont tué Charlie parce qu’il était chrétien ? », a questionné le petit Nassim, un patient autiste de 12 ans. Brahim, qui vient d’une famille malienne de religion musulmane, a aussi demandé pourquoi les chrétiens se moquaient des musulmans. Nous lui avons expliqué qu’on est libre de se moquer de toutes les religions… Il a ouvert de grands yeux et a répété « se moquer? » puis s’est éloigné en tournoyant sur lui-même. Pendant une longue semaine, Myriam, d’origine juive, est arrivée au centre en larmes sans pouvoir nous expliquer les raisons de son chagrin. Nous avons vu sa mère en entretien. Elle a évoqué les quatre otages morts Porte de Vincennes et son sentiment d’insécurité. Nous avons pu imaginer que Myriam portait elle aussi l’angoisse de sa mère sans pouvoir y mettre des mots.
Tout au long de ces dernières semaines, nous avons répété inlassablement aux jeunes et à leurs parents qu’ils étaient en sécurité à l’HDJ. Ce n’est pas facile de mettre nos propres sentiments de côté mais notre rôle est d’aider ces adolescents à faire du lien entre le dedans et le dehors. Tout en essayant de donner du sens à un événement très complexe, nous accompagnons jour après jour leurs mouvements de peur, d’angoisse, leurs questionnements ou leurs silences.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .