Recevoir un cadeau d’un patient, cadre juridique et déontologique

N° 224 - Janvier 2018
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Pour prévenir tout malentendu, il faut préciser dans le règlement intérieur de l’établissement de soins que les dons de quelque nature que ce soit ne sont pas autorisés à titre personnel.

Avant de quitter le service dans lequel il a séjourné pendant plusieurs jours, un patient vient saluer le personnel et remet un présent à un agent en particulier, pour le remercier de la qualité de son travail, de sa disponibilité et de sa bienveillance. Un autre patient souhaite faire don au service des œuvres qu’il a réalisées en atelier thérapeutique durant son séjour…
De telles situations se rencontrent souvent dans les établissements et placent le professionnel dans une position délicate : doit-il, peut-il accepter un tel geste de remerciement alors qu’il estime n’avoir fait que son travail ? Cette question peut sembler anodine mais y répondre implique de mobiliser des éléments à la fois juridiques et éthiques.

Qu’est-ce qu’un cadeau ?

D’un point de vue strictement juridique, le droit permet a priori à toute personne de disposer librement de ses biens et de faire des dons, et donc des cadeaux, à qui bon lui semble. Le Code civil dispose ainsi que « la libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens (…) au profit d’une autre personne » (article 893), et rappelle que « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l’accepte » (article 894). C’est par ces termes, plein de romantisme, que le législateur va qualifier le fait de faire un « cadeau ».

Ne pas user de sa situation professionnelle …

Le législateur est intervenu pour régler par avance les risques découlant de ce type de situation, en particulier lorsque celui qui fait le cadeau d’un montant important est une personne vulnérable. L’un des objectifs principaux est de s’assurer que le destinataire du don n’a pas abusé de son statut pour bénéficier d’un geste altruiste en sa faveur.
– Sur ce point, la principale disposition qui vise expressément les professionnels de santé provient du Code civil et précise, pour protéger les héritiers du patient, que « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci » (article 909) (1).
Ce texte instaure une présomption de captation d’héritage à l’encontre des professionnels de santé et rappelle que, compte tenu de la fragilité du patient, la relation avec lui est toujours faussée.
– Dans un autre registre, le droit pénal incrimine le fait d’obtenir indûment un avantage d’une personne vulnérable (2). Il s’agit alors de sanctionner une forme d’abus de la faiblesse d’autrui. En ce qui concerne les recommandations déontologiques, le Code de la santé publique fixe à l’infirmier l’obligation de « ne pas user de sa situation professionnelle pour tenter d’obtenir pour lui-même ou pour autrui un avantage ou un profit injustifié » (article R. 4312-54). En procédant de la sorte, le Code rappelle que la grande proximité avec le patient ne doit pas conduire à prendre sur lui une emprise à des fins personnelles.

Le règlement intérieur, cadre global

L’ensemble de ces textes n’interdisent donc pas à un patient de faire des cadeaux aux soignants mais rendent très délicat pour ces derniers le fait de les accepter, même s’ils peuvent paraître d’un prix modique. Plutôt que d’ignorer la question, il conviendrait donc en pratique de prévoir des dispositions particulières dans le règlement intérieur de chaque établissement. Tant d’un point de vue déontologique que réglementaire, il est souhaitable d’inscrire que les dons de quelque nature qu’ils soient (argent, produit manufacturé ou création personnelle) ne sont pas autorisés dans l’établissement et qu’un agent ne peut en aucun cas les accepter à titre personnel. Ce préalable permet de fixer un cadre et de rappeler à chacun que l’acte de prise en charge du patient est d’abord accompli par un professionnel. Faute de dispositions spécifiques, il est recommandé à un agent à qui un patient ou une famille souhaiterait faire un cadeau personnel de les refuser poliment ou d’en faire don au service dans son ensemble, s’il s’agit d’un bouquet de fleurs par exemple.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne-Sud

1– L’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles contient des dispositions du même ordre pour les majeurs protégés.
2– L’article 223-15-2 du Code pénal stipule : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. »

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