Porter plainte contre un patient

N° 214 - Janvier 2017
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En psychiatrie, les soignants dénoncent rarement les faits de violence dont ils sont victimes de la part de patients. Ils peuvent pourtant faire appel à la justice et être soutenus par l’établissement.

Face aux actes délictueux d’un patient, le soignant peut s’interroger sur l’opportunité de porter plainte ou de dénoncer les faits. Un coup de poing, une menace de mort, un vol, la destruction d’un véhicule sur le parking, des insultes répétées doivent-ils, peuvent-ils être signalés à la justice et par qui? Commis en dehors d’un lieu de soins, ces actes seraient vraisemblablement dénoncés à la police. En psychiatrie, c’est beaucoup plus rare. Cela s’explique par plusieurs raisons qui, à force d’habitude, finissent par mettre la personne victime dans une situation délicate. Le non-dépôt de plainte n’est pas anodin puisqu’il conduit à placer le temps du soin en marge du droit commun et à accorder unilatéralement une forme d’irresponsabilité pénale aux patients. À l’inverse, la divulgation d’informations est parfois considérée comme un risque important de rupture du lien entre le patient et le service.

La plainte

Juridiquement, une plainte est un acte par lequel une personne (physique ou morale) qui s’estime victime d’une infraction (crime, délit ou contravention) informe la justice pénale. Dans le cas de l’agression d’un soignant, c’est l’individu qui en est la victime et qui peut donc porter plainte. L’hôpital n’est victime que pour des faits qui lui porteraient atteinte directement (par ex un patient qui provoque volontairement un incendie, dégrade des biens ou porte atteinte à sa réputation)…
Lorsqu’il est averti des faits commis dans son établissement, le directeur de l’hôpital ne porte donc pas directement plainte en lieu et place de l’agent. En revanche, il doit informer des faits le procureur de la République. Dans le cadre de la fonction publique en effet, compte tenu de l’intérêt général, la transmission de l’information est une obligation (1) : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, qui dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Ce texte met souvent mal à l’aise les professionnels de santé des établissements publics qui l’estiment en contradiction avec les règles du secret professionnel. Selon le législateur, l’ensemble des agents publics est cependant concerné par ces dispositions déontologiques même si, comme le rappelle le ministère de la Justice (2), « cette obligation de portée générale n’est pas sanctionnée pénalement, mais peut éventuellement constituer une faute disciplinaire ».
En portant plainte, la victime permet à la justice pénale de jouer le rôle que lui a confié le pouvoir constituant, à savoir protéger l’ordre public. En signalant des faits dans les délais de prescription des infractions (1 an pour une contravention, 3 pour un délit et 10 pour un crime), le plaignant n’a pas la certitude que la justice pénale donnera suite. En effet, c’est le procureur de la République qui décide de l’opportunité des suites qu’il va donner. Face à une infraction (3), il peut engager des poursuites, mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites ou classer sans suite. Dans tous les cas, le plaignant est avisé des suites données.
Si, après le dépôt de plainte, la victime souhaite avoir une part plus active et/ou obtenir des dommages-intérêts visant à réparer les préjudices subis, elle dispose de la possibilité de se constituer « partie civile ». Elle sera mieux associée au déroulement de l’affaire et pourra demander au juge le déclenchement d’une enquête (information judiciaire). D’un point de vue pratique, les faits étant liés à l’exercice de son activité professionnelle, l’agent prendra alors soin de prévenir la direction de l’établissement de sa démarche.

Le soutien de l'établissement

 – Lorsqu’un agent public porte plainte, il bénéficie de la protection fonctionnelle et peut ainsi être accompagné dans ses démarches (assistance juridique, avocat, réparation d’un préjudice…).
– Lors de son dépôt de plainte, il doit démontrer le lien de causalité entre les faits relatés et son activité professionnelle, en particulier lorsque ceux-ci ont été commis hors de l’enceinte de l’établissement.
– Concernant les obligations de l’établissement de soins à l’encontre de ses agents, il est important de rappeler que l’administration « est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant le préjudice qui en est résulté » (4). Le législateur vient d’ailleurs d’étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle aux praticiens hospitaliers.
Soulignons enfin que les peines encourues sont plus importantes lorsque l’auteur des violences les a commises sur « toute personne chargée d’une mission de service public, ainsi que sur un professionnel de santé, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur » (5). Par ce biais, le Parlement entend protéger plus efficacement les personnes victimes d’infraction du fait de leur fonction et les encourager à porter plainte.

Éric Péchillon, Professeur des Universités, Université Bretagne Sud

1– Article 40-2 du Code de procédure pénale (CPP).
2– Réponse du ministère de la Justice du 25 avril 2013, JO Sénat, p. 1360.
3– Article 40-1 du CPP.
4– Article 11 de la loi du 13 juillet 1983 modifié la loi du 20 avril 2016
5– Articles 221-4,222-3, 222-8, 222-10 du Code pénal.