Petit bonhomme tout ahuri…

N° 200 - Septembre 2015
FacebookTwitterLinkedInEmail

À 13 ans, le frêle Dong, qui souffre de troubles envahissants du développement, reste absent et très maladroit. Au fil de médiations pratiques, il progresse lentement…

Dong est un jeune Chinois de 13 ans que nous accueillons à l’hôpital de jour depuis septembre 2015. Il est si frêle et si petit qu’au début, nous avions peur qu’il se fasse écraser comme une mouche par certains jeunes qui mesurent le double de sa taille. Le premier jour, Dong s’est dirigé vers l’équipe et a montré du doigt Michel, l’éducateur, un géant doté d’une carrure impressionnante en disant « Moustache ? Monsieur Moustache ? » comme s’il avait voulu se placer tout de suite sous la protection du plus grand soignant.

Le regard qui porte …

Dong souffre d’un trouble envahissant du développement avec un caractère déficitaire important. Dès sa naissance, alors que ses parents avaient récemment émigré en France, il refusait de se nourrir et s’obstinait à ne pas boire ses biberons. Il a commencé à s’alimenter quand sa mère l’a amené en Chine auprès de sa grandmère. L’histoire s’est poursuivie pendant plusieurs années avec une alternance, en France d’épisodes d’anorexie et en Chine de prise de poids jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par le Centre médico–psychopédagogique (CMPP).
Dong est raide et plutôt silencieux. Il répète en boucle quelques phrases comme « Papa méchant » et « Maman gentille ». Chaque matin, il serre la main de toutes les soignantes, en oubliant délibérément nos collègues masculins, excepté « Monsieur Moustache » près duquel il s’assoit. Ses côtés régressifs donnent envie soit de le protéger, soit de le réprimander comme un enfant. Dong s’est bien intégré au groupe d’ados, même s’il est surtout proche de deux jeunes filles de 15 ans qu’il suit dans un collage passif. Il rit quand elles rient, pleure si l’une d’elles se met à pleurer, et imite le moindre de leurs mouvements.
Dong présente des troubles praxiques importants : il a du mal à couper sa viande, à tenir ses couverts et à boutonner son manteau. Nous l’avons inscrit dans des groupes à médiations pratiques afin qu’il puisse acquérir une motricité fine plus précise. En pâtisserie, il s’agit de faire des sablés avec une pâte toute prête en s’aidant d’emporte-pièces en métal. Dong ne parvient pas à ouvrir seul un sachet de pâte.
Quand un soignant s’approche de lui pour lui montrer quelque chose, Dong est totalement happé par le regard de l’autre et ne peut s’en détacher. Il n’écoute pas ce qu’on lui dit mais boit notre regard comme un tout-petit, à tel point que nous devons nous installer derrière lui pour lui expliquer quelque chose et nous faire comprendre. La première fois que nous l’avons emmené faire des courses au supermarché pour acheter les ingrédients des gâteaux, il était totalement perdu et fonçait avec son petit caddie sans regarder. Il se heurtait aux gondoles et aux gens qui regardaient d’un air surpris et indulgent ce petit bonhomme ahuri. Petit à petit, Dong a progressé et aujourd’hui il dirige convenablement son chariot et dépose nos achats sur le tapis roulant de la caisse. Refusant d’abord de goûter à tout ce que nous préparons (« Pas bon »), il mange maintenant avec plaisir quelques gâteaux.
Nous l’emmenons aussi à la piscine, surtout pour qu’il apprenne à se déshabiller et à s’habiller seul, à ranger et rassembler ses affaires et aussi, bien sûr, pour qu’il prenne du plaisir dans l’eau. Ce qu’il fait, sans peur ni conscience du danger de noyade. Il se précipite pour rattraper un ballon près de la zone où il n’a plus pied, sans remarquer qu’il a la tête presque totalement sous l’eau. Quand je l’attrape pour le ramener vers nous, il me regarde d’un air interrogateur… Mais le plus difficile reste les moments avant et après le passage dans l’eau. Dong a la fâcheuse tendance de perdre tout ce qu’il tient dans sa main. Il porte son sac de piscine, le pose à ses pieds dans le métro, et se lève cinqminutes plus tard en l’oubliant. L’objet n’existe pas pour lui tant qu’il n’est pas accroché à sa main.

Ne pas se faire happer

Ainsi, malgré des progrès indéniables, nous devons veiller sur Dong comme sur un jeune enfant, tant il paraît démuni. Il est si petit, si absent, si transparent qu’on aurait tendance à l’oublier lui aussi quelque part… C’est peut-être pour cela qu’il s’accroche tant à nous, à notre regard, pour ne pas laisser partir ce qui l’anime et le fait avancer, tout en laissant tout ce qu’il tient dans la main derrière lui. Dong est hypnotisé par les autres et nous devons lui apprendre à ne pas s’y perdre mais à développer des interactions sans se faire happer ou dévorer par un adulte ou un autre jeune.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .