Ouvrir le chemin

N° 180 - Septembre 2013
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Explorer les quartiers où résident les jeunes patients, passer une journée au bord de la mer… Le groupe « randonnée » conduit les ados à la découverte du monde et d’eux-mêmes.

Depuis mon arrivée à l’hôpital de jour il y a un an, j’ai rejoint un atelier « randonnée ». Chaque lundi, de 12h à 16h30, avec mon collègue Mickaël, éducateur spécialisé, nous entraînons sur les chemins de l’aventure un petit groupe composé de six adolescents. Ils présentent presque tous un profil autistique, sauf Myriam, plutôt déficitaire et Marilyn, qui souffre de psychose.
Lors de ma première sortie jusqu’à un joli jardin près de la porte de Choisy, je suis frappée par l’attitude des jeunes. Ils marchent côte à côte sans se parler et s’arrêtent tous en même temps dès que l’un d’eux fait mine de ralentir. Ils entourent Mickaël et ne s’éloignent jamais trop de lui. Marilyn s’accroche à son bras et lui fait des confidences sur les chanteurs de rap et les groupes qu’elle aime. Je me sens un peu exclue par cet étrange mouvement et reste en arrière. Jénaro, un beau garçon de 15 ans avec une casquette vissée sur la tête, se rapproche de moi. Il sautille et pousse des petits gloussements de joie, ponctués de mots incompréhensibles. J’apprendrai plus tard qu’il parle le bambara, la langue de sa maman malienne.
Nous nous asseyons dans l’herbe pour parler du groupe et de l’année à venir. Marilyn questionne : « Est-ce qu’il y aura des séjours comme l’année dernière? » Une randonnée d’une semaine en Auvergne avec un âne avait été organisée. Mon collègue lui répond et j’observe les participants, qui semblent totalement ailleurs. Émeric me jette des coups d’œil craintifs et baisse les yeux dès que je le regarde. Antony fredonne une sorte de refrain, en jouant avec son bob. Myriam, qui nous tourne presque le dos, regarde avec intérêt des enfants qui s’amusent sur une balançoire.

Suivez le guide !

Pourtant, au fil des randonnées, ces jeunes se sont révélés et nous ont souvent bluffés. Au début, nous pensions travailler sur leurs envies. Je me souviens de leurs yeux ébahis quand nous leur avons demandé où ils souhaitaient aller, eux, et ce qu’ils désiraient nous faire connaître. Grand silence! Et puis, comme nous avions beaucoup évoqué en réunion institutionnelle les problèmes d’autonomie de ces patients (la plupart ne savent pas utiliser les transports en commun pour venir à l’hôpital de jour), nous avons eu une idée. Nous leur avons proposé de nous emmener chez eux, ce qui nous a permis de leur demander d’où ils venaient, dans quelle rue ils habitaient. Beaucoup l’ignoraient mais ils ont relevé le défi de guider le groupe.
Ainsi, dès la sortie de « sa » gare de banlieue, Amadou a pris la tête de la petite troupe au lieu de la suivre passivement comme à son habitude. Il est parvenu à nous emmener dans un parc pour pique-niquer puis s’est arrêté juste devant chez lui, soufflant : « Là. » Marilyn, qui habite elle aussi en banlieue, maîtrise parfaitement ses trajets alors qu’elle ne connaît ni son adresse ni le nom des stations qu’elle emprunte. Nous avons pris avec elle d’abord un train de banlieue, puis changé de bus deux fois. Marilyn dirigeait son monde : « C’est là, Myriam, lèvetoi! » Avec Myriam, nous avons arpenté sa rue de long en large sans qu’elle ne manifeste le moindre étonnement. Soudain, Marilyn s’est exclamé : « Mais ce n’est pas la voiture de ta maman, ça, Myriam? Je l’ai déjà vue te conduire avec le matin ! » Myriam a acquiescé et continué à nous suivre tranquillement.
Aucun de ces adolescents ne lit correctement. Tout passe par la pratique, l’expérience et le concret. Malgré cela, pour garder des traces, Mickaël et moi tenons un journal de bord, où nous consignons leurs récits sur la sortie précédente. L’histoire de ce groupe randonnée s’écrit ainsi à petit pas, avec chacun.

« Je veux la mer… »

Au cours de l’année, nous avons effectué des sorties très différentes : une journée à la mer à Dieppe parce que Jénaro nous a un jour murmuré : « Moi, je veux la mer », ou encore une au Stade de France parce que Marilyn a entendu que le prochain concert de Rihanna se déroulera là-bas… Nous avons ouvert le chemin et ces jeunes, peu investis au départ, deviennent acteurs. Nous sommes toujours heureux de leur rappeler que ce sont eux qui nous font découvrir des choses. On aperçoit alors dans leur regard une lueur de plaisir et de fierté que nous ne voyons pas souvent… mais que nous cultivons précieusement.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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