Le sourire éclatant de Saïdou

N° 186 - Mars 2014
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Saïdou, un jeune homme autiste, aime prendre les soignants dans ses bras, dans un corps à corps dont ils ne peuvent s’échapper. Une présence et un sourire lumineux.

« Saïdou, pâtisserie mardi, Saïdou pâtisserie. » Saïdou m’enserre la tête avec son bras et se colle à moi en chantonnant un air qui me fait penser à des musiques africaines, « ni na ohé ohé ni na ohé ohé ». « Ça suffit, Saïdou, lâche-moi maintenant », lui dis-je quand son étreinte devient douloureuse pour ma nuque. Il faut dire que cet adolescent de 18 ans, très grand et costaud, ne se rend pas compte de sa force. Il me lâche et s’éloigne en bondissant, essayant de toucher le plafond avec sa tête en claironnant son refrain… Beaucoup d’adolescents de l’hôpital de jour se moquent de Saïdou, le traitent de « kangourou ». Je lutte contre leurs paroles blessantes, même si moi aussi je l’avoue, je lui trouve parfois un petit air marsupial…

L’oeil qui pétille …

Saïdou est sénégalais, c’est un beau jeune homme qui souffre d’autisme. Ses doigts sont tous blancs parce qu’il passe son temps à les mordre. Il parle peu, se perd dans la contemplation de lumières, compte les bus dans la rue, répète tout en écholalie… selon une représentation « classique » de la personne autiste. Mais loin d’avoir ce regard vide et perdu de certains enfermés dans leur bulle, Saïdou affiche un regard extraordinaire, l’œil qui pétille et un sourire permanent. Lors de la réunion soignant-soigné, il couche affectueusement sa tête sur l’adulte qu’il a élu comme voisin et lui prend la main, touche chaque doigt, chaque ongle et fait remuer le poignet comme pour voir si tout est bien articulé. Il claque les dents, se mord les mains et se dresse soudain pour quelques bonds avant de se rasseoir quand un soignant lui rappelle le cadre.

Timides progrès

Au début de sa prise en charge, quelques mois plus tôt, les groupes étaient difficiles pour lui, et pour nous. Saïdou passait son temps à entrer et à sortir de la salle, s’agitait. Aujourd’hui, il reste en place et ne joue plus avec les lumières. Au groupe « éveil corporel » que je coanime avec le psychomotricien, Saïdou s’assied sur le banc en plaquant d’abord son dos contre le mur, si fort que cela fait trembler la salle, puis il se laisse glisser le long du mur jusqu’à se retrouver assis. Il semble qu’ainsi calé, le groupe autour de lui peut commencer.
Saïdou adore manger et le groupe pâtisserie est une fête pour lui. Quand nous allons ensemble faire les courses, il me tient la main et chante de plaisir durant tout le chemin. « Ligne 6 », clame-t-il en s’arrêtant devant le métro aérien. Au supermarché, il furète avec plaisir aux rayons biscuits et bonbons, s’arrête pour me montrer du doigt un objet convoité : « Smarties?
– Non, Saïdou, pas de Smarties, tu as lu la liste? Il nous faut de la farine et des œufs pour le gâteau… »
L’adolescent adore le bruit des caisses automatiques. Aujourd’hui, il s’est assagi. Mais pendant toute une période, il était difficile de l’emmener à l’extérieur. Dans le métro, Saïdou parcourait les rames de long en large et aimait particulièrement sauter au milieu des voyageurs, ce qui nous a valu quelques regards effrayés voire furibonds quand le métro était bondé.
Saïdou a appris à lire tout seul. Il aime scander des morceaux de phrases de manière très hachée toute la journée. Je me souviens d’« apéricube-le-fromage-de-l’apéritif » ou encore « meetic-des-rencontres-avec-descélibataires-près-de-chez-vous » qui étaient assez drôles dans sa bouche.

Le langage corporel

Malgré ses quelques phrases ânonnées, Saïdou ne parle pas, contrairement à la plupart des jeunes que nous prenons en charge, mais il s’exprime avec son corps. Un de mes collègues dit qu’il donne l’impression de réellement communiquer lorsque nous sommes à table. Saïdou nous regarde, se lève, nous cherche du regard pour avoir un bout de fromage, nous fait un câlin pour en obtenir un deuxième et se met à chantonner quand il comprend qu’il n’en aura pas.
J’aime beaucoup ce jeune homme et je pense que mes collègues aussi. Saïdou nous touche peut-être autant parce qu’il s’approche plus près de nous qu’aucun autre. Quand il nous prend dans ses bras, on ne peut s’échapper ni esquiver. Dans un corps à corps brutal, il attrape l’autre comme un paquet, le serre de toutes ses forces puis le lâche brutalement, comme un objet vite oublié. Et pourtant Saïdou nous connaît et nous appelle par nos prénoms, nous cherche quand il a besoin de nous. Il effraie un peu parce qu’il n’entre pas dans un moule, mais charme et fascine par son sourire qui illumine nos journées.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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