Le nom du père

N° 176 - Mars 2013
FacebookTwitterLinkedInEmail

Marilyn, qui souffre de psychose, questionne son histoire familiale. En contenant ses colères, les soignants tentent de l’aider à construire son identité, malgré l’abandon du père.

Marilyn, 16 ans, vient quotidiennement à l’hôpital de jour. « Au collège ! », rétorque-t-elle avec un sourire quand je prononce le mot « hôpital ». Plutôt vive, souriante, elle se présente toujours maquillée et pomponnée. Suivie depuis l’âge de 3 ans, elle présentait alors des colères clastiques et un important retard de langage. Malgré sa psychose, Marilyn a bien évolué dans l’institution. Figure plutôt autoritaire du groupe des filles, elle correspond à l’image classique de l’adolescente, écoute du RnB, s’intéresse aux garçons, à la mode, aux clips sur YouTube…
Cependant, depuis quelques jours, Marilyn a eu de nombreuses crises et nous avons du mal à contenir sa colère. Il faut dire qu’elle traverse une période assez difficile et se questionne sur son histoire familiale.

« Méchant, méchant, méchant… »

À sa naissance, Marilyn a été reconnue par son père biologique mais celui-ci s’est séparé de sa mère quand le bébé avait 9 mois. La mère, très en colère, s’est rapidement remariée avec un homme, que Marilyn désigne comme son père. Ensemble, le couple a eu deux filles. Marilyn vit donc avec son « père », sa mère et ses sœurs mais elle ne porte pas le même nom de famille. La mère parle du père biologique de Marilyn comme d’un homme indigne qui n’a jamais donné de nouvelles et dont elle ne veut plus entendre parler. D’ailleurs, son nom ne figure pas sur la boîte aux lettres, ce qui fait que Marilyn ne peut pas recevoir de courrier.
La semaine dernière, Marilyn a accompagné sa mère chez le juge aux affaires familiales. Celle-ci a engagé une procédure pour déchoir le père biologique de ses droits parentaux, afin de faciliter certaines démarches administratives. Le père biologique de Marilyn ne s’est pas présenté à l’audience. Tout cela semble très confus pour la jeune fille. « Je ne veux plus m’appeler Marilyn », nous affirme-t-elle par la suite, rejetant ainsi ce prénom choisi par son père.
Ce jour-là, son enseignante est absente et Marilyn, inoccupée, demande à Mickaël, son référent, si elle peut participer au groupe vidéo qu’il s’apprête à animer. « J’ai peur de m’ennuyer et de me retrouver seule », confie-t-elle. Conscient que Marilyn traverse une période difficile, mon collègue accepte. La jeune fille suit donc ses pairs devant les deux ordinateurs de montage et s’installe d’autorité devant un des deux postes. Mickaël s’interpose et lui demande de laisser la place aux adolescents habitués. Marilyn refuse catégoriquement et se ferme comme une huître. Après avoir essayé en vain de la raisonner, Mickaël tente de la faire se lever. Marilyn se raidit puis se débat en poussant des hurlements de rage. Elle finit par terre dans le couloir après avoir donné force coups de poings et de pieds à l’éducateur, créant un petit attroupement curieux et effrayé…
Conduite à l’infirmerie, où je me trouve, Marilyn pleure et hurle, puis se roule en boule sur un lit en tentant de frapper Mickaël : « Méchant, méchant, méchant… ». D’une voix douce, son médecin reprend alors avec elle le déroulement de l’événement. Marilyn se calme. Elle réclame cependant que nous restions autour d’elle, comme si nos présences seules pouvaient l’envelopper et la contenir suffisamment. Elle reste un moment allongée avant de se rassembler et de rentrer chez elle.
Le lendemain, Marilyn tente d’interrompre un jeu de mime que nous proposons avec mon collègue psychomotricien en s’installant juste devant les autres et en les empêchant d’y participer. Je lui demande de changer de place mais elle se renfrogne et refuse. Pour éviter de renouveler l’épisode de la veille, nous décidons alors d’éloigner d’elle notre petit groupe. Décontenancée, Marilyn nous observe partir et se détourne finalement en prenant un journal.

Le vide insupportable

Lors de notre réunion clinique, nous évoquons longuement la situation de Marilyn et faisons le lien entre ses agirs à l’hôpital de jour et la place qu’elle cherche dans sa famille. Nous sommes tous choqués par la violence de la mère de Marilyn qui, en entretien, balaye d’un coup la question du père en affirmant que sa fille aura bien le temps de le voir quand elle sera plus grande, que cela ne la concerne plus. Comment Marilyn peut-elle « rêver » son histoire personnelle sans une parole sur laquelle s’appuyer? Nous nous interrogeons surtout sur la manière d’aider Marilyn à supporter les moments de vacance de l’institution, les absences des uns et des autres qui la renvoient à un vide insupportable. Pas facile de se construire sur l’abandon…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .