Le chemin de l’autonomie

N° 250 - Septembre 2020
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En vue de son départ de l’institution, Anthony, 20 ans, rédige son « projet de vie » avec l’infirmière. L’occasion d’affirmer ses goûts et ses choix…

Anthony est un jeune patient autiste de 20 ans. Il devrait bientôt quitter l’hôpital de jour (HDJ) pour intégrer un centre d’accueil de jour (CAJ) (1). Dans cette perspective, nous remplissons la partie « projet de vie » du dossier unique pour la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Je mesure à cette occasion le chemin parcouru par Anthony avec nous ces huit dernières années…

Un ado "dans sa bulle" …

La famille d’Anthony est originaire du Vietnam. Femme au foyer, la mère s’est toujours beaucoup impliquée dans la prise en charge à l’hôpital de jour (HDJ), tandis que le père, chef d’entreprise, n’est venu à aucun entretien médical. Anthony a deux frères plus jeunes et plutôt brillants, étroitement « coachés » par leur mère qui s’occupe avec autorité de leur scolarité.
Très soucieuse de l’avenir d’Anthony, elle remue ciel et terre pour que son fils bénéficie de toutes les chances d’intégration offertes aux personnes souffrant d’autisme. Il a ainsi effectué plusieurs stages en Établissement et service d’aide par le travail (Esat). En attendant qu’une place se libère en CAJ, il est scolarisé en Unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis)-lycée et fréquente l’HDJ à temps partiel pour quelques activités thérapeutiques.
À son arrivée, il y a huit ans, Anthony était un jeune adolescent « dans sa bulle ». Il ne venait guère me saluer et évitait mon regard quand je lui parlais. Il déambulait en faisant défiler rapidement les pages d’un magazine devant ses yeux pour se donner des sensations visuelles et se protégeait du bruit alentour en émettant des sons avec sa gorge pour créer une enveloppe sonore.
Au groupe éveil corporel, que j’animais avec un collègue psychomotricien, Anthony se mettait à l’abri, au fond de la salle. Craintif des autres patients, il pouvait cependant les alpaguer grossièrement : « Tais-toi! », « Tu me fais chier » puis, devant mon regard étonné, reprenait : « Oh pardon, pardon j’ai rien dit…
– Tes mots sont très agressifs, Anthony. Ce n’est pas comme ça qu’on s’adresse aux autres, tu peux les blesser… »
Anthony s’excusait mais ne pouvait s’empêcher de recommencer. J’avais l’impression qu’il imitait sa mère, qui pouvait le reprendre de manière virulente en entretien s’il ne se comportait pas selon ses vœux.
Très sensible au bruit et poreux aux cris, Anthony détestait Myriam, une jeune patiente déficitaire qui exprimait ses joies ou ses colères par des bruits et des cris… En revanche, il a tenté plusieurs fois de se rapprocher de Maddison en lui lançant des regards timides et en l’écoutant des heures durant lui raconter des histoires de mangas…
Depuis septembre dernier, Anthony participe au groupe poésie et son vocabulaire s’est enrichi. Nous nous amusons en ce moment à combiner des mots entre eux. Anthony, comme beaucoup d’autistes, associe uniquement par contiguïté : « Si je dis porte, tu me dis…
– Fenêtre!
– Si je dis rouge, tu me dis…
– Vert!
– Essaie plutôt de trouver un mot qui évoque cette couleur, Anthony. » Anthony fronce les sourcils, un peu contrarié, mais désireux de me faire plaisir.
« Euh, le feu?…
– Oui c’est bien! »
Il associe maintenant systématiquement les couleurs à des vêtements : blanc/chemise, noir/costume… Comme s’il avait malgré tout besoin de s’accrocher au réel, au matériel, sans pouvoir laisser parler ses sens à la place de son cerveau.

« Etre avec mes potes »

Dans son « projet de vie », à ma grande surprise, Anthony parvient avec finesse à rester loyal aux désirs de sa famille, qui souhaite le voir travailler, tout en exprimant ses propres difficultés et son besoin d’avancer à son rythme. Il écrit en lettres bâtons : « Je veux rester habiter chez mes parents. Je veux faire un travail pas difficile. Je veux faire des activités avec mes potes. » Puis, autoritaire : « Voilà, c’est tout! J’ai terminé! »
Au fil du temps, Anthony a pu se « subjectiver », rencontrer autrui et l’approcher sans forcément l’attaquer. Il est plus tolérant avec les autres, même s’il garde un peu de rigidité et ne peut s’empêcher de reprendre parfois un patient qui déborde. Il affirme ses goûts et appréhende plus finement le monde qui l’entoure…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– Les CAJ accueillent en journée des adultes en situation de handicap reconnus inaptes au travail ou qui ne peuvent pas travailler à plein temps. L’objectif est de maintenir une autonomie et une activité sociale.