La « peau » du soin

N° 244 - Janvier 2020
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Chaque vendredi, à l'hôpital de jour, la réunion patients soignants est un temps fort de l'institution. L'occasion de construire une enveloppe commune au groupe…

À l’Hôpital de jour pour adolescents, chaque vendredi, avant le déjeuner, a lieu la réunion soignants soignés. C’est un temps fort de l’institution, très attendu, même si certains patients le redoutent. En effet, nous accueillons 25 jeunes dans l’établissement et le faceà-face avec le grand groupe se révèle parfois violent et intrusif pour certains.
La cadre de proximité, Claudia, anime cette réunion avec chaleur et bienveillance. Chacun peut intervenir sur un sujet général ou faire part d’un événement personnel. Sur ce principe simple, nous observons quantité de comportements…

Des sujets variés …

Certains jeunes, comme Peter, réservent rapidement « leur » place, au milieu, pour voir et surveiller tout le monde. À l’opposé, Émilie se cache tout au fond, près du couloir, ses mains dissimulant son visage mais attentive à tout ce qui se dit. D’autres, comme Ahmed et Abdou, ne peuvent s’empêcher de prendre la parole à tout bout de champs… Il y a aussi ceux qui lèvent timidement le doigt pour s’exprimer, encouragés par leur soignant référent. Ainsi Raphaël, qui ne prend pas souvent la parole, parvient à raconter qu’il a passé les fêtes avec sa famille aux États-Unis. Pendant ce temps, Saïdou, patient autiste, pose délicatement la tête sur le bras de Michel, son référent. Il a besoin d’un corps stable et contenant pour s’y appuyer. Il lui est difficile de rester immobile, assis sur une chaise pendant 35 minutes, lui qui bondit sans cesse dans les couloirs. Parfois, il se met à chanter des mélodies africaines d’une voix de stentor et il faut lui rappeler de se tenir silencieux.
Il arrive que nous traitions de thèmes difficiles. Ainsi, récemment, nous avons abordé la question de la violence. Quelques jours auparavant, Abdou et Maël s’étaient battus à coups de poing dans la cour pour une partie de foot qui avait mal tourné. Il avait fallu l’intervention de trois soignants pour les séparer. En réunion, Marion s’est aussitôt mise à hurler : « Taisez-vous, je déteste la violence, j’ai peur! » puis elle est partie en courant se réfugier dans « le havre », une petite salle de repos réservée aux jeunes.
D’autres sujets plus légers soulèvent l’enthousiasme général, comme lorsqu’il s’est agi d’organiser la fête de fin d’année, avec l’incontournable « boum ». Là, les soignants prennent des notes tellement les idées fusent. Pourquoi pas un repas chinois? Un menu mexicain dans un décor de ski et des boules de neige? Pas facile de faire plaisir à tout le monde, et surtout, de montrer à chacun que son avis est entendu.

Rythmer la vie de groupe

Ce moment est également l’occasion de partager le calendrier. Nous annonçons ainsi les prochaines vacances scolaires, les absences programmées de tel soignant ou l’arrivée de nouveaux jeunes pour un stage d’observation. Cet aspect est peutêtre le plus important : pour ces patients autistes ou psychotiques déficitaires, le moindre imprévu est vécu comme un trou dans leur espace psychique extrêmement poreux. Ils sont en effet inquiets et à l’affût du moindre changement qui pourrait perturber leur corps fragile construit sur des pieds en argile. Où sont partis ces patients et ces soignants que l’on ne revoit plus ? Comment supporter l’absence de l’autre? Comment garder des souvenirs suffisamment bons et pouvoir, sans s’effondrer, surmonter la perte de quelqu’un qu’on avait mis du temps à apprivoiser et qui nous quitte?
Peut-être qu’elle ne sert qu’à ça, cette réunion, à écouter les patients parler de ceux qui sont partis, à partager des émotions autour de notre vécu commun. La puissance de la parole en groupe permet aux adolescents de ne plus se penser comme des individus isolés, avec des joies et des peines, mais comme les membres d’un même corps qui englobe, pour un temps court, soignant et patients. Je pense à Kaës : « La “peau” du groupe devient progressivement une surface de communication et, carapace ou limite encore perméable, elle génère des fantasmes d’appartenance (« tous dans le même sac ») ou de séparation et d’écran. Le grand groupe fonctionne alors comme la peau individuelle : il sépare, il renferme, il isole. » Nous nous construisons ensemble, soignants et soignés, une peau commune, armure qui protège mais peut aussi emprisonner. À nous d’être suffisamment souples et solides pour que la parole circule et que cette enveloppe reste bénéfique…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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