Jonas en quête d’autonomie

N° 231 - Octobre 2018
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Au cours d’une sortie à la piscine, Jonas, 16 ans, trouve une bague fantaisie. Les soignants l’autorisent à la garder mais sa mère ne l’entend pas ainsi. Qu’en est-il de son libre arbitre ?

Mara, tu as vu comme elle me va bien cette bague? Elle est trop belle!  » 
À la sortie de la piscine, Jonas, un jeune patient autiste de 16 ans d’origine congolaise, tend sa main à ma collègue pour lui faire admirer son nouveau bijou.
« C’est à toi? Où l’as-tu trouvée?
– C’est Peter qui l’a ramassée au fond de l’eau, il me l’a donnée, s’exclame-t-il tout guilleret. Tu veux la voir? »
Mara observe la bague et me la tend, l’air songeur. C’est un bijou fantaisie, un anneau argenté assez large orné de quelques motifs tribaux, un objet sans doute peu onéreux. Au moment où nos regards se croisent, Jonas supplie :
« Je peux garder la bague? Elle est si belle, elle me va si bien! »
Ses yeux brillent de plaisir, comme un enfant devant un objet convoité. Je réfléchis un peu :
« Bah, je ne pense pas que quelqu’un viendra la réclamer, elle devait être au fond de la piscine depuis un bon moment. En plus, ce n’est pas une bague de grande valeur. Eh bien oui, tu peux la garder! »
Ma collègue acquiesce, Jonas jubile et notre petit groupe reprend le chemin de l’Hôpital de jour (HDJ).

« Je n’ai pas été élevée comme ça »

Vif et très sensible, Jonas est un jeune homme qui passe facilement du rire aux larmes. Il prend souvent pour lui des paroles destinées à d’autres, et se met alors dans un état de rage et de désespoir absolus. Il fond en larmes, cache entièrement sa tête dans son pull pour s’isoler des autres… À l’inverse, ce jour-là, il laisse éclater sa joie, admire sa trouvaille et ne cesse d’interpeller les autres jeunes pour partager son bonheur.
Mais le lendemain matin, Jonas demande à me parler. Fixant le sol, il murmure tristement : « Virginie, j’ai montré la bague à ma mère hier soir, elle refuse que je la garde et me demande de vous la rendre. Elle dit que ce n’est pas à moi et que c’est un vol. » Je me rappelle soudain que sa famille est assez stricte. J’aurais dû deviner que sa mère n’accepterait jamais qu’il garde cette bague. Jonas me regarde d’un air suppliant. Je lui propose de joindre sa mère pour expliquer mon point de vue mais je doute fort de la faire changer d’avis.
De fait, malgré mes efforts, la maman de Jonas reste implacable. Dans un geste assez théâtral, le jeune homme remet donc la bague au cadre de santé, la paume ouverte et les yeux fermés pour cacher sa souffrance de perdre ce trésor à peine possédé.
Je raconte la situation au médecin, qui doit justement recevoir cette femme le lendemain. Nous nous interrogeons sur le libre arbitre de Jonas par rapport à ses parents. Pourquoi n’a-t-il pas gardé discrètement le bijou pour lui ? A-t-il un territoire à lui au sein de sa famille?
L’entretien familial est plutôt agréable et détendu. La mère de Jonas évoque les progrès de son fils au lycée, l’augmentation du temps de classe et la poursuite des soins à l’HDJ. Son fils est plus autonome, plus calme. Il devient responsable, range sa chambre, travaille bien. Ces sujets épuisés, le médecin me regarde et propose à Jonas et à sa mère de revenir sur l’épisode de la bague, pour que chacun comprenne bien le point de vue de l’autre. Le visage de la maman se ferme et elle rapporte son mécontentement quand son fils lui a montré le bijou : « Je n’ai pas été élevée comme ça. Si je vois quelque chose par terre qui ne m’appartient pas, je ne dois ni le regarder, ni le ramasser, c’était comme ça chez moi, dans ma famille. »
Jonas intervient, avec un long soupir mélancolique : « Maman a raison, ce n’est pas bien… » Sans insister, nous terminons l’entretien en évoquant ce qui aiderait Jonas à grandir. Comme tout adolescent, il a besoin d’avoir des objets à lui, des vêtements qu’il puisse choisir, pour construire son identité. Il a aussi le droit d’avoir ses goûts et ses secrets. La mère écoute son fils avec attention et douceur.

Happy end

Quelques jours plus tard, Jonas, radieux, tambourine à la porte du bureau soignant pour nous faire admirer ses nouvelles baskets flambant neuves. Il est heureux d’expliquer qu’il a choisi lui-même « les plus chères du magasin ! »
Nous nous réjouissons tous de ce happy end. Il semble qu’un nouveau lien se tisse entre la mère et le fils, là, sous nos yeux. Cette femme entend les nouveaux désirs et besoins du jeune adulte en devenir. Cet épisode va certainement aider Jonas à se fabriquer une enveloppe narcissique et à se forger un moi moins fragile et moins poreux aux autres et à l’environnement.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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