Isolement, contention : entre recommandations et instructions

N° 218 - Mai 2017
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Émanant de sources différentes, des textes importants ont été récemment publiés, visant à encadrer les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie. Lorsque les règles traditionnelles du droit croisent les recommandations de bonnes pratiques médicales et les instructions, comment s’y retrouver ?

Après la codification (1) du cadre général des mesures d’isolement ou de contention d’un patient, deux nouveaux textes viennent d’être publiés sur le même thème, l’un par la Haute Autorité de santé (HAS) (2) (voir Santé mentale, Actualités, n° 216), l’autre par la Direction générale de l’offre de soin (DGOS) (3) (voir Santé mentale, Actualités, n° 217). La multiplication des supports et des sources peut surprendre les professionnels de santé et interroger sur leur valeur juridiquement contraignante. Il est donc important de faire un point sur une mutation du droit qui complique la tâche quotidienne des soignants.

Hiérarchie des normes

Classiquement, en droit, il existe une hiérarchie de normes dite de « droit dur », destinées à garantir le principe de légalité. Elle oblige chacun à se conformer à « l’ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure » (4) (5).
Cette hiérarchie est aujourd’hui complétée par de nouvelles catégories de textes, venant remettre en cause la conception traditionnelle du droit et parfois s’intercaler entre les différents niveaux. Les Recommandations de bonne pratique (RBP) et les instructions ministérielles illustrent parfaitement ce phénomène propre à l’État « postmoderne » (6), qui consiste à développer une nouvelle « échelle de normativité graduée » conduisant à poser une distinction entre le « droit dur » et le « droit souple ». De manière synthétique, le Conseil d’État permet de l’expliquer dans un tableau (7).
C’est la jurisprudence qui progressivement se charge de faire émerger des critères pertinents et prévisibles permettant de classifier les différents textes.

Entre RBP et liberté d’exercice

Le domaine de la santé est un terrain privilégié de recours à cette forme de droit. Comme le rappelle le Conseil d’État « l’utilisation du droit souple sous la forme de recommandations de bonne pratique (RBP) médicale permet d’accompagner le médecin dans son obligation de se fonder sur les données acquises de la science » (arrêt Mercier de 1936, Cour de cassation) tout en respectant sa liberté d’exercice. Le soignant doit ainsi pouvoir s’écarter d’une recommandation lorsqu’il considère que la situation particulière du malade le justifie : « le recours au droit souple apparaît dès lors plus approprié que le droit dur » (8). Il n’est absolument pas question de donner au document de la HAS de février 2017 (2) une valeur réglementaire de droit dur à laquelle il ne serait pas possible de déroger au quotidien. Bien au contraire. En effet, « la HAS n’[a] pas le pouvoir de prendre des décisions s’imposant aux tiers : son pouvoir ne peut être que d’influence et le droit souple est l’instrument de son exercice » (9). Elle prend d’ailleurs bien Isolement, contention : entre re commandations et instructions Émanant de sources différentes, des textes importants ont été récemment publiés, visant à encadrer les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie. Lorsque les règles traditionnelles du droit croisent les recommandations de bonnes pratiques médicales et les instructions, comment s’y retrouver ? soin de le rappeler en préambule de chaque recommandation et d’établir une gradation en fonction de l’importance des données et des « preuves scientifiques » ayant participé à sa rédaction (par ordre décroissant A, B, C, ou AE). Le texte sur l’isolement et la contention est d’ailleurs classé « Accord d’experts » (AE) car « les données de la littérature identifiée dans le cadre de ce travail (absence d’étude ou insuffisance de niveaux de preuve scientifique des études) n’ont pas permis d’établir de grade pour les recommandations. En conséquence, toutes les recommandations reposent sur un accord professionnel au sein du groupe de travail, près consultations des parties prenantes » (10). En pratique, suite à la publication d’une RBP, le juge administratif peut être amené, par le biais d’un recours pour excès de pouvoir, à contrôler la légalité du texte au regard des dispositions juridiques hiérarchiquement supérieures afin de vérifier si cette dernière ne préconise pas des comportements contraires à la Constitution, aux traités ou aux lois. La possibilité de recourir à un contrôle juridictionnel de leur contenu permet de garantir la sécurité juridique en annulant une recommandation illégale (11).
À la différence donc d’une règle de droit traditionnelle, les RBP « ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans la prise en charge du patient, qui doit être celle qui estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences du patient ». Au quotidien, la décision individuelle du psychiatre de recourir à la contention ou de placer un patient à l’isolement peut donc s’écarter des recommandations dès l’instant où il est en mesure de justifier ses motifs. L’une des questions qui reste en suspens est celle de savoir si un patient pourrait engager des poursuites contre un établissement qui n’aurait pas tout mis en œuvre pour permettre aux professionnels de santé y exerçant de suivre au mieux les recommandations de la HAS.

 

Management administratif

Les instructions ministérielles n’ont pas la même fonction que les recommandations. Elles ne sont pas non plus rédigées par les mêmes auteurs. Ce sont des instruments de management administratif qui permettent à l’administration centrale de diffuser dans les services déconcentrés une forme de doctrine destinés aux agents du service public. Longtemps considérés comme dépourvus de valeur juridique et assimilés « à des mesures d’ordre intérieur susceptibles d’être soumises au contrôle du juge », ces documents font désormais l’objet d’une attention particulière. Le Conseil d’État considère qu’en fonction de leur formulation et de leurs destinataires ils peuvent produire des effets juridiques plus ou moins contraignants. Afin de garantir le maximum de transparence et de vérifier leur actualité, le site « circulaires.gouv.fr » permet la consultation des instructions et circulaires applicables, adressées par les ministres aux services et établissements de l’État (12). En fonction de leur contenu, certaines instructions seront parfois requalifiées en règlement lorsque le ministre y glisse des dispositions nouvelles, alors que d’autres ne seront considérées que comme de simples explications de texte visant à faciliter leur application locale.
C’est ainsi que « s’agissant des instructions administratives, il faut distinguer selon leur nature. » Les circulaires réglementaires, les seules susceptibles de recours, sont des actes réglementaires et relèvent donc du droit dur. On peut hésiter en ce qui concerne les circulaires impératives non réglementaires qui, sans créer de règle de droit nouvelle, « prescrivent d’adopter » une interprétation de la règle de droit existante. Leur caractère impératif et le fait qu’elles émanent d’une autorité exerçant un pouvoir hiérarchique sur leurs destinataires doivent cependant conduire à retenir leur appartenance au droit dur. Seules les circulaires non impératives, pour lesquelles l’autorité émettrice se borne à exposer des objectifs, à recommander un comportement ou à orienter l’action de ses subordonnés sans la contraindre, peuvent être qualifiées de droit souple. La lecture attentive de l’instruction du 29 mars 2017 (3) montre qu’elle n’est pas véritablement contraignante puisqu’elle n’ajoute pratiquement rien aux règles déjà en vigueur. Seules les dispositions relatives à la tenue du registre, à son utilisation et la restitution de données pourraient à la limite être considérée comme normative. Le reste ne fait qu’expliciter le sens de la réforme législative.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud

1– L’article 72 de la loi 2016-41 du 26 janvier 2016 a été intégré au Code la santé publique, art. L.3222-5-1.
2– HAS, recommandation de bonne pratique clinique, Isolement et contention en psychiatrie générale, février 2017.
3– Instruction n° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement.
4– https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique/I.-Conception-destextes/ 1.3.-Hierarchie-des-normes/1.3.1.-Differentes-normes
5– Voir le site http://droit.savoir.fr/la-hierarchie-des-normes/
6– Chevallier (J.), L’État postmoderne, 4e éd., LGDJ, 2014.
7– Conseil d’État, Le droit souple, étude annuelle 2013, La documentation française, p. 69.
8– Étude annuelle 2013 « Le droit souple » Conseil d’État, 7 fiches thématiques sur l’utilisation du droit souple dans 7 domaines significatifs. Dossier de presse. http://www. conseil-etat.fr/content/download/3596/10816/version/1/file/droit_souple_3-fiches_thematiques_021013.pdf
9– Conseil d’État, Le droit souple, étude annuelle 2013, La documentation française, p. 36. voir le site www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000280.pdf
10– HAS, recommandation de bonne pratique clinique, Isolement et contention en psychiatrie générale, février 2017, p. 7.
11– Conseil d’État, 27 avril 2011, Association pour une formation médicale indépendante, req. 334396.
12– Articles R. 312-8 et R. 312-9 du code des relations entre le public et l’administration : « Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés »

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