Ismaël est en chimiothérapie

N° 217 - Avril 2017
FacebookTwitterLinkedInEmail

Ismaël, un jeune autiste, est hospitalisé en oncologie pour un cancer récemment diagnostiqué. Les soignants de l’hôpital de jour lui rendent visite pour le soutenir.

Ismaël, 18 ans, est un patient autiste de l’hôpital de jour, traité par chimiothérapie depuis deux mois pour un cancer (1). Ce jour-là, je lui rends visite pour la première fois dans le service d’oncologie où il est hospitalisé.

« Elle est où maman ? »

Dans le couloir silencieux, j’ose à peine frapper à la porte. Tout est calme ici, les malades attendent tranquillement dans leur chambre, sans un bruit. Quel contraste avec l’hôpital de jour pour adolescent, où tout déborde joyeusement! On entend le baby-foot, des cris, des portes qui claquent, des rires parfois… Je viens de croiser la mère d’Ismaël, en pleurs, parce que son fils refuse de poursuivre le traitement. Très passif et coopérant au début, il semble comprendre qu’il est gravement malade et se révolte, réclamant sans cesse de rentrer chez lui. « C’est toi maman?, demande-t-il en entendant frapper. Tu viens?
− C’est Virginie. Bonjour Ismaël.
− Oh, Virginie, tu as vu maman, tu sais où elle est? », me demande-t-il avec un sourire timide. Puis, regardant le ciel par la fenêtre de ses yeux transparents, il murmure : « Elle est où, maman, elle est où? »
Ismaël a fait un saut de géant dans le monde des adultes. Il a perdu ses joues rondes et son visage émacié n’est plus celui d’un adolescent. Il prend ma main et m’écoute. Oui, sa maman est devant la porte et elle rentrera dès mon départ. Je lui promets que ce ne sera pas long et lui parle alors des jeunes, de la vie des groupes. « Est-ce que Dao et Assa viendront me voir ici, est-ce qu’ils parlent de moi? Est-ce que je leur manque?
− Bien sûr. Je ne pense pas qu’ils pourront venir ici, mais je vais leur dire que tu m’as parlé d’eux. Il y aura aussi d’autres soignants qui viendront te voir la semaine prochaine. »
Ismaël soupire et laisse sa tête retomber sur l’oreiller. Il ferme les yeux :
« Virginie, je ne veux pas être malade, je ne veux pas rester là. Je veux rentrer chez moi, rester dans mon lit. C’est trop long ici, je ne veux pas rester si longtemps. Tu peux dire à ma mère qu’elle me ramène à la maison? »
J’attends qu’il ouvre les yeux pour lui répondre, d’une voix douce mais ferme : « Ismaël, tu dois te soigner pour revenir chez toi et à l’hôpital de jour. Ce sera un peu long, tu dois être courageux et patient…
− Ce sera long comment ? Je reviens quand à la maison ?
− Je ne sais pas, Ismaël. Tu veux que je te donne des nouvelles de quelqu’un ?…
– Non, je suis fatigué maintenant. Je voudrais que Michel vienne me voir. »
Mon collègue Michel, éducateur, est le référent de l’adolescent depuis son arrivée à l’hôpital de jour. C’est un homme costaud et contenant et Ismaël a besoin d’entendre sa voix s’élever quand il est angoissé. Il redevient alors comme un tout-petit… Je lui promets que Michel viendra bientôt. Les yeux clos, Ismaël se tourne vers la porte : « Elle est là maman? Tu crois qu’elle m’a apporté une pizza? J’ai faim… »
Je ne réponds pas. L’aide-soignante m’a prévenue qu’il avait vomi son repas juste avant mon arrivée. Sa main dans la mienne me paraît si légère et si fragile que je ne suis même pas sûre qu’il ait encore la force de manger.

Partager la souffrance

Je lui dis au revoir et retrouve sa mère. « Vous l’avez vu? Qu’est-ce qu’il vous a dit?
− Il vous réclame tout le temps.
– Vous savez, je suis épuisée. Je passe dix heures par jour ici, auprès de lui. Je ne travaille plus, je n’ai plus de vie. Combien de temps je dois tenir encore comme ça? Comment je vais faire pour supporter ça ? »
La maman d’Ismaël, souffrant elle-même de troubles psychiques, est suivie au Centre médico-psychologique (CMP) de son secteur. Elle vit seule avec ses quatre enfants. Même si le dispositif de soin s’est organisé de longue date pour la soutenir, elle a besoin d’aide.
Avec mes collègues de l’hôpital de jour, nous rendons visite régulièrement à Ismaël, pour qu’il puisse déposer un peu de sa souffrance et de sa maladie en chacun de nous. Avec pudeur, nous essayons d’en restituer des bribes aux autres jeunes, la partie la moins sombre, la plus positive, pour qu’ils continuent à l’attendre sans trop d’angoisse et que la vie continue jusqu’à son retour. Même si nous nous sentons bien impuissants, Ismaël peut encore s’appuyer sur notre présence.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e

1– Voir Santé mentale, n°215, février 2016.