Santé mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité

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La DREES, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), et la DARES ont organisé un séminaire de recherche qui visait à questionner les relations entre santé mentale, organisation du travail, chômage et précarité et souhaitait apporter des éléments de connaissance aux interrogations qui traversent actuellement l’espace public.

Ce séminaire, réunissant chercheurs en sciences humaines et sociales, experts d’administrations centrales médecins et psychologues du travail, etc. a permis de questionner les relations entre la santé mentale, les expériences du travail, du chômage et de la précarité, et a apporté des éléments de connaissance aux interroga-tions qui traversent actuellement l’espace public. Plus précisément, ce séminaire s’est intéressé aux conséquences sur la santé mentale des conditions de travail et de leurs transformations, des nouveaux modes de management mais aussi des nouvelles formes d’emplois et du chômage. Au terme de ces échanges, plusieurs constats sont apparus.

– Tout d’abord, depuis une dizaine d’années, la France connait une évolution des formes d’organisation du travail et de l’emploi, caractérisée par une plus grande individualisation de la gestion des salariés, souvent accompagnée de changements organisationnels permanents. Cette évolution tend à modifier en profondeur le lien de subordination des salariés à leurs employeurs. La notion de subordination, qui caractérise traditionnellement la relation salarié-employeur dans le cadre du contrat de travail, prend alors un autre sens : les désirs des salariés sont mis au service des besoins de l’entreprise (Linhart, 2015). Dans les entreprises « libérées », par exemple, la liberté d’initiative des salariés est fortement favorisée. Mais, cette individualisation extrême et les changements organisationnels permanents introduisent de nouvelles formes de souffrance qui ont été soulignées.
– Un autre point a porté sur les spécificités de l’impact de la précarisation de l’emploi et du travail ainsi que du chômage sur la santé mentale des individus. À ce titre, les intervenants ont souligné combien la dégradation de la santé mentale relève d’un processus mêlant des évènements professionnels et personnels et s’inscrivant dans des phases. De même, l’absence de prise en charge de la santé mentale de ces populations par le système de santé du travail en France tend à occulter les conséquences du chômage et de la précarité sur les individus. Preuve en est, les enquêtes épidémiologiques excluent souvent les chômeurs de leurs échantillons pour ne retenir que les personnes en emploi, avec le risque de surreprésenter des individus en relativement bonne santé (effet du travailleur sain). Plus généralement, interroger les « frontières » du travail a permis un questionnement plus large de ce qu’est le travail, son rôle et sa fonction dans la société mais aussi chez les individus et ses impacts sur la santé mentale.
– Il a également été rappelé l’importance du rôle du genre dans la compréhension des mécanismes agissant sur la santé mentale des travailleurs. Un certain nombre d’études ont notamment montré que le travail accompli par les hommes et les femmes n’est pas le même. Or les spécificités du travail des femmes tendent à être invisibilisées dans les recherches et du même coup, les atteintes à la santé mentale (Bercot, 2015). Par ailleurs, comme l’ont rappelé les intervenants, l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale diffère selon que l’on est une femme ou un homme. Le fait que les femmes continuent d’assumer majoritairement les soins aux enfants, aux proches dépendants et les charges domestiques introduit une charge mentale supplémentaire qu’il importe de prendre en compte dans les recherches.
– Enfin, ce séminaire est revenu sur l’évolution de la jurisprudence et des politiques portant sur la prévention de la santé mentale au travail. Depuis les années 2000, des changements de réglementation ont permis le développement du droit de la prévention de la souffrance mentale occasionnée par le travail. Parallèlement à cette prise de conscience, les entreprises se sont saisies de ces questions. Cela s’est notamment traduit par un certain nombre de mesures visant les individus : identification des facteurs pathogènes afin de rendre possible le recours au dépistage des salariés en difficulté ; volonté de favoriser l’adaptation des travailleurs, tant au niveau individuel que collectif, face au stress ou aux exigences professionnelles, dispositifs de réintégration de l’individu en situa-tion de mal-être au sein de l’entreprise. Cette tendance à l’individualisation et à la psychologisation des atteintes à la santé mentale au travail se traduit par une intervention centrée sur l’individu perçu comme « fragile ». Délaissant une approche attentive à l’activité et à l’organisation du travail dans la compréhension du phénomène de souffrance mentale, ce « repérage » des salariés fragiles s’exprime par la mise en oeuvre de dispositifs palliatifs (écoute, travail sur soi, développement des capacités à faire face et à s’adapter, etc.). Plus largement, l’ensemble des intervenants des quatre séances de ce séminaire ont insisté sur le fait que ces mesures tendent à faire porter la responsabilité sur le travailleur sans remettre en cause l’organisation du travail. L’origine de la souffrance est alors souvent perçue comme individuelle, intrinsèque à la personne en difficulté et donc extérieure au champ professionnel.

Coordination Diane DESPRAT (DREES), 2019, « Santé mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité – Actes du séminaire de recherche de la DREES et de la DARES », Les Dossiers de la DREES n°38, DREES, juillet.