Parution du n°42 de la revue Travailler : « Souffrance en France », 20 ans plus tard

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Qu’il s’agisse d’une activité salariée ou bénévole, domestique ou professionnelle, de manoeuvre ou de cadre, du public ou du privé, industrielle ou de service, d’agriculture ou de commerce… travailler, c’est mobiliser son corps, son intelligence, sa personne pour une production ayant valeur d’usage.

Que travailler puisse générer le pire ou le meilleur, tout le monde en conviendra. Que souffrir, en revanche, puisse avoir des incidences favorables est plus difficilement acceptable. Pourtant, contrairement à ce que suggère le sens commun, la souffrance n’est pas seulement le point d’aboutissement d’un enchaînement malheureux dont il ne resterait qu’à déplorer les conséquences fâcheuses. La souffrance est aussi, pour le clinicien du travail, un point de départ, une origine : l’origine de tout mouvement vers le monde, de toute expérience du monde.

Il suffit que cette souffrance soit éprouvée pour qu’elle appelle, en quelque sorte, à son dépassement. Comment ? Par le travail précisément ! La souffrance comme protention vers le monde est foncièrement protention du sujet à "travailler". Dans l’après-coup, celui de la contemplation des résultats du travail accompli, s'esquisse le dépassement de la souffrance et sa transformation en sentiment de satisfaction, de plénitude voire d’euphorie. Le plaisir au travail est consubstantiellement lié à la réussite du processus de subjectivation, de renforcement de l’identité, ou encore de l’accomplissement de soi, dont travailler a été l’occasion.

Nombreuses sont les situations de travail grâce auxquelles les hommes et les femmes se portent mieux que lorsqu’ils sont privés de ce travail. Alors, comment expliquer que la psychodynamique du travail se soit fait connaître, avant tout, par la description des destins funestes de la souffrance, par celle des stratégies de défense, de l’aliénation et de la pathologie mentale ? C’est que le travail n’est accessible, concrètement, que dans un rapport social où s’exerce la domination. Le pouvoir mutatif du travail sur la souffrance, sur l’accroissement de la subjectivité, sur le plaisir et la santé, peut être neutralisé. Voire inversé en son contraire et ne générer que davantage de souffrance, comme, par exemple, dans le travail répétitif sous contrainte de temps.

"Souffrance en France" 20 ans plus tard, n°42 de la revue Travailler, Revue internationale de psychopathologie et de psychodynamique du travail, ed. Martin media, 2019, 15€.