Les privations de liberté en raison d’un handicap : causes, freins et leviers

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L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) publie une étude consacrée aux privations de liberté des personnes handicapées. Malgré la reconnaissance croissante de la privation de liberté comme atteinte aux droits de l’homme au niveau international et de positions en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société, pourquoi les mentalités et les pratiques peinent-elles à évoluer et de quels leviers disposons-nous ?

Résumé/ Les hospitalisations sans consentement en psychiatrie et l’accueil d’adultes en situation de handicap – majoritairement psychique ou mental – dans des structures d’hébergement médico-social recouvrent des situations souvent traumatisantes et douloureuses pour les personnes et leurs familles, mais aussi pour les professionnels. Selon le rapport de l’Organisation des Nations Unies (Onu) sur les droits des personnes handicapées, ces situations peuvent constituer des privations de liberté spécifiques au handicap, contraires à l’article 14 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
A partir d’entretiens réalisés avec les différents acteurs impliqués dans ces situations (personnes en situation de handicap, proches, représentants d’associations, professionnels de santé, directeurs d’établissements. sanitaires et sociaux, décideurs politiques et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté), cette étude cherche à mieux comprendre les causes de ces situations et les moyens de les éviter.

Questions aux auteurs de cette étude : Magali Coldefy, Stéphanie Wooley et Marieke Podevin (source Irdes)

1/ Dans quel contexte, pourquoi et comment a été réalisée cette étude ?

Le droit à la liberté et à la sûreté sont des droits fondamentaux et universels. La Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’Organisation des Nations Unies (Onu), ratifiée en 2010 par la France, prévoit que les personnes en situation de handicap, sur la base de l’égalité avec les autres, jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne et, qu’en aucun cas, l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté.
Pour autant, selon la Rapporteure spéciale des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées, des formes de privation de liberté spécifiques au handicap sont pratiquées dans la plupart des pays. Les hospitalisations sans consentement en psychiatrie, les placements en structure collective d’hébergement médico-social sont notamment considérés comme des formes de privation de liberté en raison d’un handicap. La Faculté de droit et politique du handicap de l’Université nationale d’Irlande à Galway a été sollicitée par la Rapporteure spéciale de l’Onu pour analyser et mieux comprendre ces situations dans différents pays, dont la France, et notamment, les causes de ces situations, les freins au plein exercice du droit à la liberté et à la sûreté des personnes en situation de handicap et les leviers permettant d’éviter ces situations. Pour la France, ils ont choisi de travailler avec nous, une petite équipe constituée de Stéphanie Wooley, référente pour la France du Réseau européen des (ex-)usagers et survivants de la psychiatrie (Enusp), Marieke Podevin, fondatrice d’Argo Santé, un cabinet de conseil et d’études positionné dans le champ de la santé et de la perte d’autonomie et de Magali Coldefy, chercheuse associée à l’Irdes sur les thématiques de la santé mentale, l’organisation des soins et la variabilité des pratiques en psychiatrie. Le cadre de l’étude internationale (méthodologie, grille d’entretien, catégories d’acteurs à interroger) s’est imposé à chaque pays retenu. Nous avons ainsi interrogé 20 personnes en France : personnes ayant expérimenté ces situations privatives de liberté, des familles, des représentants d’associations, des directeurs et professionnels d’établissements, des décideurs politique et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) en place à l’époque de l’étude. Les conclusions de l’étude internationale sont disponibles ici et ont alimenté le rapport annuel 2019 présenté à l’Onu par la Rapporteure spéciale sur la privation de liberté des personnes en situation de handicap à travers le monde. Il nous paraissait important d’en diffuser les résultats pour la France et de faire davantage connaître ces travaux internationaux. Ils peuvent en effet contribuer à mettre en œuvre des politiques et pratiques de désinstitutionalisation et de vie autonome en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap.

2/ Quelles sont les principales raisons qui conduisent à des hospitalisations sans consentement ou à des placements en institution médico-sociale ?

Tout d’abord, les hospitalisations sans consentement et les placements en institution médico-sociale se distinguent dans la mesure où les premières sont généralement des réponses d’urgence alors que les deuxièmes peuvent être des réponses à plus long terme. Toutefois, du point de vue de la problématique de la privation des libertés, de nombreux déclencheurs, freins et leviers identifiés lors des entretiens réalisés sont communs aux deux situations. Les déclencheurs de ces situations sont multiples. Ils dépendent des situations individuelles (personne entourée ou isolée, sous tutelle, en logement autonome ou au domicile des parents…), mais aussi de la nature du handicap (moteur, psychique, sensoriel…). Notre étude montre qu’une rupture dans le parcours de santé ou de vie des personnes, une réponse inadaptée du système et des professionnels, notamment en situation de crise, une absence ou un manque de soutien de la personne et des proches dans la communauté, une mesure de précaution liée à une approche paternaliste du handicap, ou encore sa méconnaissance et sa forte stigmatisation, sont les principaux déclencheurs des hospitalisations sans consentement et des placements en structure médico-sociale en France. En matière de prise en charge, le manque de prévention et de suivi, de solutions plus adaptées disponibles au bon moment et de dispositifs de gestion des situations de crise et d’urgence conduisent encore trop souvent les professionnels à recommander la privation de liberté pour protéger les personnes. Les personnes en situation de handicap, comme les familles, relatent souvent un manque d’écoute, une prise en charge inadaptée, voire inutile, qui, dans certains cas, ont des conséquences irréversibles et compromettent les relations familiales.

3/ Quelles pistes d’amélioration sont envisageables ?

La société doit en premier lieu réinterroger le regard qu’elle porte sur les personnes en situation de handicap, écouter et entendre leur aspiration à l’autonomie, que ce soit en matière de soins, de vie sociale, de vie sexuelle et de parentalité, d’habitat, d’activité professionnelle, de citoyenneté, de gestions des moyens matériels et financiers. Tant les décideurs politiques que les personnes en situation de handicap et les familles interrogés ont insisté sur le besoin de formation des professionnels afin que la prise en charge soit davantage sous-tendue par une écoute des besoins et un respect de la dignité humaine. Les droits des personnes doivent faire l’objet d’une information plus lisible et les conséquences associées aux soins sans consentement ou au placement en institution être mieux expliquées en amont afin que les choix des familles et des personnes en situation de handicap soient éclairés et leur libre consentement recherché. Des dispositifs de soutien psychologique doivent être proposés aux familles ainsi que des solutions alternatives d’hébergement pour les personnes en situation de handicap. Les directeurs d’établissements et les professionnels de santé et du social souhaitent une réelle coopération entre les secteurs sanitaires et sociaux et une réglementation adaptée pour atteindre cet objectif. Plusieurs initiatives vont dans ce sens en France mais nécessitent d’être développées : l’information et le soutien des personnes et des familles sur le handicap, sa gestion au quotidien et leurs droits, leur implication dans le parcours de santé pour anticiper et gérer les crises plus précocement, la pair-aidance, la mise en place de plans de crise ou directives anticipées en psychiatrie, le développement de solutions alternatives, transitoires d’hébergement moins médicalisées, l’évaluation du respect des droits du programme « Quality Rights » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la formation des professionnels par l’intervention d’usagers des services…

Les privations de liberté en raison d’un handicap : causes, freins et leviers, Magali Coldefy, Marieke Podevin, Stéphanie Wooley avec la collaboration de Maria Gomez et Emma Cassagneau, IRDES, Questions d’économie de la santé n° 254 – janvier 2021