« Je me sens dans une situation professionnelle difficile dont je voudrais vous faire part… »

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Déstabilisée par un management qui ne lui permet plus d’engager une relation bienveillante et de confiance avec les patients, une infirmière interpelle sa hiérarchie.

« Merci de me recevoir et de me permettre de m’entretenir avec vous, même si cette démarche reste difficile pour moi. Vous me semblez être l’interlocuteur le plus indiqué et le plus compétent pour partager mes inquiétudes. Je me sens dans une situation professionnelle difficile, dont je voudrais vous faire part. Comme je ne souhaite pas improviser pour m’exprimer clairement et  ne rien oublier, permettez-moi de vous lire ce petit mot.

Mon vécu est certes personnel et subjectif, mais il reflète une situation collective liée à un management dont les évolutions récentes produisent des difficultés chez les soignants et de la souffrance au travail. Depuis plusieurs mois j’ai bien-sûr tenté de m’y adapter. J’ai aussi initié à plusieurs reprises le dialogue avec mes supérieurs directs,  tout en constatant que je n’étais pas la seule à en souffrir même si je m’exprime ici en mon seul nom. Voilà treize ans que j’exerce le métier d’infirmière de façon investie et épanouie. Et c’est la première fois que je traverse de telles difficultés qui m’obligent à une abnégation quotidienne pour me rendre au travail et en limiter les effets sur ma vie personnelle.

Je travaille depuis huit ans dans une structure où j’ai muri professionnellement et où j’ai pu développer une conception précise de mon métier et de la relation thérapeutique. C’est la qualité de cette relation qui conditionne le parcours de soin des patients et leur disposition à adhérer aux soins en toute confiance. Et je suis convaincue, car je l’ai expérimenté, que ce lien repose sur la capacité de l’infirmière à investir son rôle propre. Ce lien ne s’établit pas selon des pratiques préétablies ou protocolisées, il s’attache à la singularité de chaque patient. Ainsi au-delà de notre rôle délégué (sur prescription médicale), le travail clinique de l’infirmière consiste à mener une démarche réflexive engagée pour chaque personne en souffrance puis à imaginer et mettre en place un accompagnement le plus adapté à sa situation. Or c’est précisément ce que je ne parviens plus à faire ! Les nouveaux modes de management ne me permettent plus d’engager une relation bienveillante et de confiance avec les patients. Je note par ailleurs une recrudescence de comportements violents et un taux croisant de réhospitalisations. Cette logique managériale produit un climat de tension pour l’équipe et les patients  et s’incarne dans de multiples faits du quotidien (rétention d’information, manque de concertation et de travail en équipe, rappel lors des jours de congés, manque de reconnaissance, mise en doute des compétences, sentiment d’insécurité, manque de soutien de la part de l’encadrement de proximité…) .

Je suis donc aujourd’hui dans une situation de doute et de souffrance. J’ai le sentiment d’être dépossédée d’un rôle que je tiens en haute estime. Je suis en proie à des périodes d’insomnie et de perte d’estime personnelle.  Après des mois de tergiversation et maintes tentatives de dialogue ouvert, je sollicite donc votre compréhension  pour envisager un changement de poste. Quoi qu’il advienne de ma requête je vous remercie de m’avoir reçue, écoutée et d’avoir accepté de m’entendre dire et lire. »

Dans un récent rapport au ministre des Solidarités et de la Santé sur la situation du CHU de Grenoble, Edouard Couty, médiateur national, pointait « un décalage trop important entre le discours institutionnel et la réalité du terrain, une communication de mauvaise qualité, un management très orienté vers les problématiques budgétaires et une organisation et un management très  centralisés laissant peu d’autonomie aux acteurs sur le terrain » (1). Un diagnostic qui pourrait probablement être posé pour de nombreuses structures de soins…

http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_couty_chu_de_grenoble.pdf