Il ne reste que nous…

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Clémence est infirmière aux urgences psychiatriques… elle nous fait partager ce petit fragment de soin…

Démarche claudicante, pantalon de velours trop grand, veste de cuir démodée et casquette de l’Olympic Lyonnais vissée sur un crâne dégarni et usé par une vie de misère. Jean-Pierre passe le portail de l’hôpital encore une fois.

Il est à peine 19h. Changement d’équipe salvateur pour les soignants qui ont vu Jen-Pierre abuser de la sonnette du service toute la journée, comme tous les jours depuis 30 ans. Jean-Pierre. Un prénom qui résonne entre les murs des urgences, qui hante le bâtiment des tutelles et scelle l’histoire d’un hôpital.

Il est donc 19h, une pluie fine et froide tombe, de celle qui traverse les mailles des gros pull en laine et qui nous enferme dans une coquille de gel. On sonne. Ou plutôt quelqu'un s’affale sur la sonnette. La régulatrice sait d’avance ce qui l’attend derrière la porte. Jean-Pierre entre, tel un vieux chien mouillé, accompagné de son haleine alcoolisée, de ses vêtements dépareillés et de toute une timbale d’odeurs mêlées dont aucune n’inspire la propreté. A ce moment où les limites de tolérance de l’odorat humain sont dépassées, la bienveillance, elle, doit tenir face à Jean-Pierre, alcoolique invétéré, psychopathe sur le retour, bagarreur parfois et SDF à temps plein. Les années d’imprégnation éthylique ont tout usé chez lui, ses capacités mentales et physiques, son élocution, et sa famille qui semble même n’avoir jamais existé. Jean-Pierre fait partie de ces êtres que seule la solitude définit et caractérise, à tel point qu’on n’imagine pas qu’ils aient pu un jour avoir une vie sociale.

Finalement, il ne reste que nous.

Et nous répétons inlassablement ces gestes, ces soins primaires normalement dispensés aux nourrissons chéris. Nous portons Jean-Pierre qui s’écroule et lavons son corps décharné, souillé, abîmé, déformé, repoussant. Parce qu’il ne s’agit maintenant plus que de cela : maintenir debout ce corps et y réinjecter un peu de dignité.

Mais ce soir là, pendant sa douche, Jean-Pierre articule : « pardon mais merci ».