Au cinéma – « Une vie démente » qui donne le « mal de mère »

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Quand « la folie » de l’une met la vie des autres « entre parenthèses ». Quand la démence de la mère vient contrarier le désir d’enfant de son fils… Entre régression et projection, pas facile de faire la part des choses et d’affronter le réel. Mais au-delà de l’épreuve, du « mal de mère », si joliment raconté dans ce film « Une vie démente », en salle le 10 novembre prochain, c’est aussi une expérience unique que la famille vit et réussit à dépasser. L’amour n’y est pas pour rien.

Suzanne, la mère, directrice d’un centre d’art contemporain, élégante sexagénaire, est aussi dynamique que farfelue. Elle est aussi délicieusement cash. Mais peu à peu, son attitude riche d’inconséquences – factures accumulées, achats excessifs, nourriture moisie dans le congélateur… – trouble son fils Alex et sa belle-fille Noémie, tous deux trentenaires. De fantasque, elle devient inquiétante. Quelque chose chez elle ne tourne pas rond tandis que chez eux c’est l’horloge du désir d’enfant qui tourne. Suzanne rit aux éclats, ses enfants, eux, « rient jaune ».

Le diagnostic tombe, brutal : démence sémantique* ! C’est aussi le début d’un rodéo, la traversée agitée d’un couple qui va découvrir la parentalité à l’envers, mettant entre parenthèse son propre projet pour faire face et prendre en charge Suzanne qui retombe en enfance. Le rythme est effréné autant que les symptômes qui s’aggravent. Il faut mentir à Suzanne, trouver un subterfuge pour assurer sa sécurité en la personne de Kévin, formidable gardien du foyer qui s’invente et se réinvente inlassablement pour s’adapter aux désirs de Suzanne, la contenir, la rassurer.

Entre l’enfant désiré et l’enfant que Suzanne redevient, tout s’emmêle. 

Pour Alex et Noémie, difficile de faire face à Suzanne, à sa vitalité, ses débordements, ses errances, ses récurrences, sa douce folie installée. Il faut autant d’amour que de patience pour accepter ce qui se joue mais chacun ne le vit pas de la même façon. Alex lutte, doute, remet en cause ses choix et son idéal « jusqu’à ce que cela aille mieux », alors que Noémie, davantage en phase avec la réalité de Suzanne, souhaite partager avec elle tous ces petits moments qui font que la vie est toujours là. Alors que Suzanne requiert de plus en plus d’attention, comme un petit enfant qui n’a plus conscience du danger, le désir d’enfant du couple s’étiole, placé entre parenthèse… Et quand il faut « sédater » Suzanne, pour calmer ses ardeurs insatiables et éprouvantes pour tous, c’est encore pire. Les effets des neuroleptiques sont là et Suzanne, vidée de tout énergie, n’est plus rien qu’une petite chose posée et immobile. Un choix qui sera remis en question…

Une scénographie particulièrement inventive, clin d’œil à l’art contemporain, place les personnages, face caméra, dans de véritables compositions graphiques…

Il en faut de l’amour pour accepter que la vie de ceux qui nous sont chers « fout l’camp » et que le retour en arrière est impossible. Il en faut aussi de l’amour pour être là, et bien souvent las, et accompagner au jour le jour la vie qui perdure coûte que coûte. Au-delà de l’épreuve, du « mal de mère », c’est aussi une expérience que la famille vit et réussit à dépasser. Elle grandit et la chute du film est là pour en témoigner. « Une vie démente » devient alors « une vie d’aimante ! »

Regarder la bande-annonce

*La démence sémantique (APP sémantique) est une forme de démence fronto-temporale (DFT, voir ce terme) caractérisée par une perte profonde progressive et amodale de la connaissance sémantique (combinaison d’une agnosie visuelle associative, d’une anomie, d’une dyslexie de surface ou d’une dysgraphie et d’une perte de la compréhension de la signification des mots) et des troubles comportementaux, attribuables à la dégénérescence des lobes temporaux antérieurs. Source orpha.net

• Une vie démente, un film de Ann Sirot & Raphaël Balboni, Belgique, 2020, 87 minutes. En salle le 10 novembre 2021.

Bernadette Fabregas Gonguet