DÉBORAH SEBBANE, psychiatre

« Il faut donner du mouvement à la psychiatrie ! »

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Psychiatre depuis un peu plus de dix ans, Déborah Sebbane se sent aujourd’hui « à sa place et à l’équilibre ». Engagée, elle ouvre le chemin pour faire bouger les lignes d’une psychiatrie encore trop figée. Regard sur un parcours professionnel qui s’est imposé à elle autant qu’elle l’a choisi.

Il est des directions que l’on emprunte d’abord par intuition, et qui révèle un immense champ des possibles. C’est le cas de celle du soin… S’y engager relève d’une belle ambition, d’une promesse qui se nourrit de l’attention à l’autre, cet autre souffrant et vulnérable, que l’on choisit d’accompagner. La psychiatre Déborah Sebbane1 défend cette vision avec autant d’humilité que de ferveur. « Je revendique une fonction soignante systémique, celle qui considère la personne soignée dans son entièreté. En psychiatrie, impossible de faire autrement car le sanitaire s’imbrique dans le social, imbriqué lui-même dans le familial et le professionnel. Je me souviens parfaitement l’avoir envisagé comme tel lorsque j’ai choisi l’internat de psychiatrie. Cela me parlait déjà, en écho avec mon histoire personnelle et familiale. Peut-être avais-je hérité de cette capacité d’écoute et de bienveillance. Il ne s’agissait pas seulement d’être un bon médecin, un scientifique, il fallait enrichir sa pratique d’humanisme, d’ouverture d’esprit, de tolérance, d’empathie et parfois d’une bonne dose d’irrationnel. Et cela ouvre des perspectives infinies ».

Lors de son clinicat, son activité au sein du Service médico-psychologique régional (SMPR) du centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin lui donne raison : « Dans un milieu contraint, quand une personne détenue souffre de troubles de santé mentale, c’est pour elle un double enfermement. Le soignant, dans une approche globale de l’individu et du contexte carcéral, doit alors observer, écouter pour mieux comprendre, analyser et ce, sans jugement de valeur et dans le respect des droits fondamentaux. Ce n’est pas toujours le plus simple mais c’est souvent, humainement, le plus passionnant pour faire progresser le praticien toujours en devenir que nous sommes. »

Une discipline stigmatisée

Pourtant, la psychiatrie est encore parfois considérée comme un choix « par défaut » souligne Déborah. L’engagement dans la discipline suscite des doutes : serait-ce une fascination ou alors un non-choix ?… « Cette stigmatisation des professionnels eux-mêmes2 doit être explorée et combattue, il y a un énorme travail à mener pour restaurer l’image de la profession et son attractivité. Au regard des difficultés rencontrées par la spécialité aujourd’hui, être psychiatre suppose un engagement total pour l’exercice, afin de conduire le changement et participer à l’amélioration des pratiques au service des personnes vivant avec un trouble psychique et leurs proches. Les usagers sont continuellement stigmatisés, discriminés et le soutien à leur processus personnel de rétablissement doit être prioritaire pour tous les acteurs de la santé mentale. Là encore, un combat pluriel s’impose. » 

Déborah s’y engage. Après deux années à la vice-présidence, élue Présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) en 2019, elle a co-participé avec le bureau de l’association au lancement de la première enquête nationale3 qui explore les déterminants de l’attractivité de la psychiatrie. « C’est l’une des spécialités médicales les plus complètes et les plus complexes qui requiert des connaissances et des compétences particulièrement étendues et approfondies, mais aussi des liens essentiels avec les autres acteurs du champ de la santé mentale. À l’heure où la santé mentale s’impose comme un enjeu majeur de santé publique, et alors même qu’elle est un déterminant essentiel de la santé, la baisse durable d’attractivité observée au fil des années nous impose de nous questionner sur ses causes. Nous avons en effet besoin de clés de compréhension pour engager des leviers d’actions documentés et ciblés. »

« Peut-être ai-je hérité de cette capacité d’écoute et de bienveillance. Il ne s’agissait pas seulement d’être un bon médecin, un scientifique, il fallait enrichir sa pratique d’humanisme, d’ouverture d’esprit, de tolérance, d’empathie et parfois, d’une bonne dose d’irrationnel… »

La mission de la santé publique

La santé publique est un sujet au cœur des préoccupations de Déborah, actuellement doctorante dans cette spécialité, mais aussi, depuis décembre 2020, directrice du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS)4 pour la recherche et la formation en santé mentale. C’est presque avec étonnement, au fil de la discussion, qu’elle mesure la cohérence de son parcours, elle qui souhaite inscrire comme prioritaire la promotion de la santé mentale et la prévention qui en découle comme facteur de bonne santé. « Considérons en effet que prendre soin de la santé mentale est aujourd’hui plus qu’une nécessité, et la crise sanitaire nous l’expose au grand jour, notamment chez les plus jeunes qui développent des troubles anxio-dépressifs consécutifs à l’isolement et au manque de perspectives d’avenir. Le sujet, largement médiatisé, doit aider au changement de culture, là encore pour lever les tabous, livrer des témoignages, lutter contre la stigmatisation, faire bouger les lignes. Allons plus loin, et regardons la psychiatrie sous l’angle de la santé publique, c’est une nécessité ! Approprions-nous cette culture de la promotion et de la prévention pour une santé holistique où aucune discipline médicale ne perd de sa noblesse. Plus que toute autre, la psychiatrie et les parcours de soin qui la caractérisent font œuvrer de concert le sanitaire, le social, le sociétal et le politique. Voilà bien ce qui constitue la santé publique et sa mission première : faire en sorte que les gens aillent bien ou mieux. »

« A ma place et à l’équilibre »

Certes exposée de par ses différents mandats, Déborah assume totalement ses fonctions de représentation. Son temps se partage entre l’associatif, l’écriture, les prises de parole et la recherche. La pratique clinique, marquée d’un temps d’arrêt pendant son travail de thèse, et à laquelle elle reste plus que jamais attachée, lui manque. En mouvement avec la psychiatrie, « à son service », elle se considère comme « un rapporteur ». Elle ne milite pas, elle est simplement « au travail ». Jamais vindicative, même si des sujets appellent l’indignation, elle reste toujours constructive. Collective, elle observe son environnement, écoute et consulte les acteurs de terrain, tisse des interactions avec d’autres professionnels mais aussi, c’est essentiel, avec les usagers, directement concernés et encore trop peu souvent écoutés. Elle recueille des idées, propose de nouvelles solutions pour participer à l’accélération du mouvement. 

Aujourd’hui, à bientôt 37 ans, Déborah reste à l’avant et continue d’ouvrir le chemin. Alors oui, elle est bien là, « à [sa] place et à l’équilibre » et si elle a décidé de défendre la psychiatrie, la discipline l’a également choisie pour sa présence constructive et son engagement.

Bernadette Gonguet
Journaliste

1– Psychiatre, directrice du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) pour la recherche et la formation en santé mentale (Lille), EPSM Lille Métropole, doctorante en santé publique (ECEVE Inserm 1123) CHU de Lille.
2– Sebbane D. « Être » psychiatre : clichés, réalités et perspectives. Résultats d’une enquête nationale menée en 2013 sur la stigmatisation de la profession. [Thèse de doctorat] Lille, Faculté de médecine Henri Warembourg, 2014..
3– #Choisirpsychiatrie : première enquête transgénérationnelle sur les déterminants de l’attractivité de la psychiatrie, menée de mai à juillet 2021 par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep) et l’AJPJA.
4– Le CCOMS est l’un des 46 centres collaborateurs de l’OMS dans le monde spécialisés en santé mentale. Il anime et coordonne un Groupement de coopération sanitaire (GCS) regroupant 25 hôpitaux (soit 178 secteurs de psychiatrie), qui prolonge son action sur le territoire national.