14/04/2017

Le jeune infirmier et le soin

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Ce matin-là, 14 personnes sont assises en cercle. De jeunes infirmier(e)s débutants en psychiatrie. Ils sont réunis dans cette salle pour une séance de photolangage. Des photos en noir et blanc, un peu défraîchies, ont été disposées sur des tables rapprochées pour l’occasion. Ils viennent d’entendre la consigne : « Choisissez une photo pour dire ce qu’est pour vous le soin ».

Silencieusement, ils se sont levés puis penchés sur les planches. Ils les ont examinées longuement pour certaines, ou effleurées à peine d’un regard oblique pour d’autres, y revenant parfois. Au signal chacun s’est emparé d’un cliché, parfois après une dernière hésitation, ou d’un geste vif pour trancher. Puis ils sont retournés s’asseoir.

L’un d’entre eux prend la parole, cheveux châtains, yeux bleus baissés sur son image, épaules larges. Il relève de temps en temps la tête comme on le fait dans ces occasions. Sans vraiment distinguer l’entourage et son pastel flouté de décor incertain, il laisse rebondir des mots qui le débordent. Ils viennent charrier un flux d’émotions et d’images internes qui composent de l’inédit. Le jeune homme lui prête forme dans ces allers retours dedans dehors. Il le construit en décrivant la photographie choisie qui, elle aussi, l’a choisi. (Prenez la photo qui vous attire l’œil ! Accueillez la première qui vous fait signe !) Pouvoir de la projection qui s’empare de l’objet externe. Tourner autour pour donner forme à l’intérieur ! Le jeune infirmier déroule son écheveau de pensées et se cherche, se dessine, s’édifie, tout en déclinant sa conception du soin : « Pour moi, soigner c’est comme sur la photo. On voit deux hommes qui portent un tonneau. Il a l’air lourd. Ce tonneau c’est comme la maladie, oui c’est ça. C’est lourd ce poids de la maladie à trainer. Seul c’est pas possible. Toute cette souffrance. Cette difficulté à faire les choses, tout ce qui est si douloureux dans l’histoire des patients et qui les écrase. Ils sont lestés par des semelles de plomb. »

Il raconte. Il dit ces mots qui surgissent au début de son périple en psychiatrie. C’est le temps des premières envies : s’y jeter corps et âme, et chercher vaille que vaille à repousser les peurs. Le temps des questions qui poussent derrière les barricades d’assurances. Le temps des craintes paralysantes à dissimuler. Le temps paravent des découragements et des colères, avant de pouvoir tout démêler puis de se perdre pour mieux se reconstruire. Ce sont des mots qui lui font trembler un peu la voix, tant ils charrient d’engagement, tant ils sont gros de son désir de soigner, mais sans savoir. Comment en serait-il autrement ? Il nous distribue de petits bouts de ses grandes envies. Des bribes de ce qui l’a conduit jusqu’ici, avec cette idée souveraine de partager les fardeaux de ces humains harnachés de mille misères. Soulager ces malades-scaphandriers empêtrés d’eux-mêmes. Il voudrait tellement les rabibocher avec cette vie qui coule autour d’eux, perdus et inadaptés, au beau milieu de tous ces autres qui incarnent la normalité. Il nous confie des paroles enthousiastes, issues de cette époque inaugurale. Ce temps si vite précaire, avant de s’apercevoir que le chemin du soin, cette bataille, est sans cesse à reconsidérer. Avant de se dire petitement et de façon plus réaliste, que soigner c’est ne jamais quitter si longtemps le fil du funambule. Vagabonder au cœur de cette laisse infinie que le ressac des mots traîne et dépose sur nos plages de silence et d’indicible à tenter d’exhumer.

« On voit bien qu’il faut être deux pour porter ce tonneau. Soigner pour moi c’est ça, c’est s’y mettre à deux avec le patient pour soulever ce qui l’encombre, s’y mettre à deux pour bouger quand même malgré cette maladie qui l’empêche d’avancer. » C’est le temps où on jure qu’en jetant toutes ses forces dans la bataille, on déplacera des barriques pesantes comme des montagnes, on réparera des étendues de douleur, on se sauvera de la folie en y mettant le prix. On est là pour ça ! Et même si on se sait secrètement craintif et maladroit, désemparé, on paiera ce qu’il faut, mais on y parviendra.

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N° 230 La dimension relationnelle du soin
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