Quelque chose a mûri…

N° 208 - Mai 2016
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Théo, 14 ans, souffre de psychose. Alors qu'il montre de réelles capacités scolaires, il reste très régressé et infantile à l'hôpital de jour. Jusqu'à l'arrivée du printemps…

À 14 ans, Théo, qui souffre de psychose, est un jeune enfant dans un corps massif d’adolescent. Depuis son admission, il y a quelques mois, il partage son temps entre une scolarité aménagée au collège et l’Hôpital de jour (HDJ).

Exister

Théo est un patient envahissant, qui, avec son corps malhabile et mou de 90 kg, s’impose à nous physiquement mais aussi psychologiquement. Il ne peut se décoller des soignants, nous fixe du regard et s’approche parfois jusqu’à nous toucher le nez pour planter ses yeux dans les nôtres.
Il fait de même avec les autres jeunes du groupe. Il se campe devant l’un d’eux et clame : « Bonjour, bonjour! » en agitant la main. Son insistance énerve et Théo se fait rejeter par tous les adolescents de l’hôpital, sauf les plus jeunes et les plus régressés. Nous remarquons que ses interlocuteurs préférés sont les deux jeunes les plus violents et les plus susceptibles de le frapper. Dix fois, vingt fois par jour, il les harcèle de ses appels, se fait remettre à sa place et revient à la charge. Plus il se fait rejeter et plus il s’entête. Si nous nous interposons d’une manière ou d’une autre, Théo s’arrange pour se mettre au moins dans leur champ de vision et les dévisager. L’un d’eux menace de lui « casser la tête et la mâchoire », et l’autre de le « saigner comme un cochon ». Théo est effrayé : « J’ai peur, il a dit qu’il allait me saigner », mais il les cherche dès son arrivée à l’hôpital et demande de leurs nouvelles s’ils ne sont pas là. « Mais je veux être ton ami! », se défend-il alors même qu’il a une main menaçante levée sur lui. Tout semble bon pour Théo, même se prendre des coups. Tout plutôt que disparaître aux yeux des autres, ne plus exister pour eux, ce qui serait ne plus exister tout court.
Ainsi, nous l’avons vu arriver un jour à l’HDJ très en colère. Il était venu dans une ambulance aux vitres teintées : « J’en ai marre, je faisais des coucous, mais personne ne me voyait, ça ne se fait pas, ça, j’en ai marre, les autres ne me voyaient pas, c’est pas possible, ça, c’est pas humain. » 

Biberon, caca, dodo

À table, Théo dévore comme un ogre et nous devons lui retirer le plat des mains. Du coup, sa colère a un objet. Il ne dit plus seulement « Tu es méchante », mais « Tu es méchante, tu m’empêches de me resservir. » L’équipe est alors divisée : les gentils, qui lui permettent de manger autant qu’il veut et les méchants qui le restreignent. Évidemment, Théo passe des heures aux toilettes après les repas et se plaint souvent de troubles digestifs. Ses vêtements sont trop petits pour lui et il se promène la braguette ouverte.
La nourriture, le ventre, les excréments : Théo exhibe le bas de son corps. Tout se passe comme s’il conservait son intelligence et ses facultés psychiques pour le collège, où son niveau scolaire est correct, et qu’il nous réservait, à nous soignants, ce corps qui éclate ses vêtements et ces excréments qui débordent de son corps. Il nous donne tout ce qui est chair et qu’il ne retient pas, ne contient pas.
Nous devons partir à sa recherche avant chaque activité. Avec nous, au quotidien, il exhibe sa partie la plus infantile et régressée, qui est parfois difficile à supporter. Il mange et défèque, comme un nourrisson. De notre côté, nous essayons de lui faire prendre de la hauteur et de l’intégrer davantage à des groupes. Pour le calmer, le médecin lui prescrit un temps de repos de 30 minutes chaque jour à l’infirmerie. Il s’agit de le mettre à l’abri et de le dégager des autres pour le protéger de leur violence et de son excitation. Cette retraite semble l’apaiser. Trop bien? Quand nous allons le chercher, nous le trouvons allongé sur le ventre, un pouce dans la bouche et il se réveille difficilement. Nous avons vraiment l’impression de nous occuper d’un nourrisson avec un cycle biberon, caca, dodo. Nous nous épuisons… et nous sentons un peu démunis.

Théo grandit

Mais, en ce printemps, lors d’un séjour thérapeutique, Théo montre une facette inconnue, plus adolescente, moins infantile. Quelque chose a mûri. La sieste n’est plus nécessaire, les temps scolaires s’allongent et nous le voyons de moins en moins. Théo a bel et bien grandi et nous commençons à soigner un jeune adolescent en train de sortir de son cocon. La chenille est devenue papillon…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .