Jonas, à fleur de peau

N° 213 - Décembre 2016
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À 14 ans, Jonas, qui souffre d’un trouble envahissant du développement, est un jeune ado très attachant mais dont l’excitation est parfois difficile à gérer au sein du groupe.

Jonas est un jeune garçon de 14 ans au regard vif et intelligent, qui passe son temps à sautiller dans l’établissement. Admis à l’hôpital de jour depuis quelques semaines pour un trouble envahissant du développement, Jonas, extrêmement sociable, s’est rapidement lié avec les patients les plus âgés et a su s’entourer d’un cercle d’amis important. Il est scolarisé à temps partiel en Unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) et ses parents l’ont inscrit dans un club de foot où il tient le poste d’avant-centre plusieurs fois par semaine. Il joue aussi de la batterie avec un talent déconcertant. C’est un jeune garçon dynamique, doué et attachant mais qui peut s’exciter très vite dans les groupes thérapeutiques et mettre en péril le cadre.

« Amour, c'est trop fort »

Avec ma collègue éducatrice, Mara, nous le rencontrons pour la première fois au groupe poésie, une nouvelle médiation qui a lieu le vendredi de 14h15 à 15 heures. Jonas traîne les pieds pour y participer. Il s’installe au fond de la pièce en marmonnant et tire le col de sa polaire sur sa tête jusqu’à s’y cacher complètement. 12 jeunes sont présents, avec un niveau scolaire plutôt hétérogène puisqu’à peu près un tiers sait à peine écrire.
Nous demandons à chacun d’écrire son prénom au tableau, à la verticale, ce que tous réussissent à peu près à faire. Jonas se lève le dernier et laisse émerger ses yeux de sa polaire. Je le vois intéressé mais toujours caché. Nous expliquons au groupe le principe de l’acrostiche (1). Jonas se précipite alors au tableau et écrit des mots à toute allure. J comme Jardin, O comme Orange, N comme Nez, A comme… Il hésite. Assa, une jeune patiente tout aussi fine, en profite pour lui suggérer un mot : « Amour? ». Jonas fait un bond puis se roule en boule par terre en hurlant. Tous ses copains se joignent bruyamment à lui en riant aux éclats. Le groupe est totalement pris dans un mouvement d’excitation en miroir de Jonas et nous sommes obligées de hausser la voix pour arrêter ce brouhaha. Je relève Jonas et lui demande de se calmer. À nouveau réfugié sous son pull, il murmure : « Mais c’est sa faute, Madame, c’est elle qui a dit le mot amour, c’est pas possible de parler d’amour, c’est trop fort, c’est trop dangereux, il faut arrêter ça tout de suite ». Soudain, il écrit Abricot au tableau et termine par S comme Serpent.
Nous poursuivons. Jonas aide David à écrire son prénom et à trouver des mots. C’est au tour de Bernadette, qui peine à démarrer. À nouveau, Jonas se précipite : « B comme batterie! », hurle-t-il, tout en se lançant dans une démonstration agitée où il tape sur sa chaise, les murs, et claque la porte en rythme. Au début, nous sourions mais le groupe déjà mis à rude épreuve menace de s’effondrer à nouveau. Je saisis Jonas fermement par le bras et sors de la salle avec lui. Il s’énerve, s’égosille qu’il n’a rien fait. Petit à petit, il s’apaise et je lui demande de rester dehors jusqu’à ce qu’il se sente assez calme pour revenir. Jonas se jette presque à mes genoux, avec une réelle tristesse : « Pardon, Virginie, pardon, je veux revenir, je vais me calmer, je te jure, laissemoi entrer et je ne recommence plus… » Nous rentrons tandis que Mara termine le dernier prénom. Je lance : « Il manque encore deux prénoms, non? » Les jeunes me regardent étonnés. « Vous avez oublié Virginie et Mara! » J’écris nos prénoms au tableau et propose au groupe de compléter pendant que nous attendrons devant la porte. Jonas s’empare de la craie et nous l’entendons animer le groupe et écrire les propositions. Les jeunes semblent calmes et chacun participe. Puis Jonas revient nous chercher en souriant et, très fier, nous lit les poèmes. Nous applaudissons en les remerciant tous pour ce beau travail.

Un bon équipage

Ma collègue et moi sommes épuisées mais plutôt ravies de l’enthousiasme avec lequel les jeunes, et en particulier Jonas, ont porté le groupe. Lorsque la vague était trop haute, nous avons craint la destruction de notre petit radeau en pleine mer mais nous avons tenu bon, mobilisant tout l’équipage, des plus forts aux plus fragiles pour arriver à bon port. Ce sera sûrement un groupe difficile pour Jonas mais nous allons l’aider à rester attentif pour lui permettre de construire cette fonction pare-excitante qui lui fait défaut et le rend à fleur de peau, disponible à la création mais aussi sensible à tout ce qui peut faire violemment effraction dans son psychisme et le désorganiser massivement au niveau du corps.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e

1 – Poème dont la lecture des premières lettres de chaque vers, effectuée de haut en bas, révèle un nom, une devise…, en rapport avec l’auteur, le destinataire, le sujet.