• Le Code civil dispose ainsi dans son article 9 que « chacun a droit au respect de sa vie privée » et dans son article 16-1 que « chacun a droit au respect de son corps ». Ces deux articles sont primordiaux, car ils influencent les autres branches du droit. En intervenant de la sorte, le législateur pose indirectement la question de la sexualité de chaque individu, en mettant en tension à la fois la notion de liberté et de consentement. La reconnaissance de l’obligation de respect de la vie privée s’étend par capillarité à un corpus juridique que l’on retrouve notamment dans le Code de la santé publique (CSP) et le Code pénal.
• Le droit de mener la vie sexuelle de son choix est également protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui contraint la puissance publique et les diverses administrations à assurer une protection effective de cette liberté. Dès les années 1970, le Conseil de l’Europe a affirmé le droit pour chacun de poursuivre librement le développement et l’accomplissement de sa personnalité. À ce titre, l’individu doit avoir la possibilité d’établir des relations avec autrui et l’administration ne peut, a priori, pas le priver de sexualité. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) indique ainsi que « l’article 8 de la convention protège le droit à l’épanouissement sexuel (…) ce droit implique le droit d’établir et d’entretenir des rapports avec les autres êtres humains et le monde extérieur, et cet y compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des aspects les plus intimes de la sphère privée, et à ce titre protégé par cette disposition » (1). La jurisprudence de la CEDH a notamment pris une position très ferme sur cette question en déclarant que l’existence d’une infraction pénale réprimant les pratiques homosexuelles entre adultes consentants constituait une atteinte inacceptable à la vie privée (2). Cela ne signifie pas pour autant que toutes les pratiques sexuelles soient autorisées (3) et encore moins que les services publics accueillant des usagers pour des séjours de plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ne soient pas tenus de réglementer explicitement la pratique de la sexualité dans les locaux.
• Toute prise en charge d’une personne, en particulier lorsqu’elle est vulnérable ou contrainte, doit questionner la sphère de la vie privée dans un espace collectif, c’est bien sur le cas de l’hospitalisation sans consentement en psychiatrie. C’est la raison pour laquelle le respect de la vie privée est régulièrement rappelé par le législateur, notamment à l’article L.1111-4 du CSP : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant ». La réaffirmation de ce principe directeur oblige chaque service à repenser son organisation en plaçant le patient au cœur de son analyse. À la différence de l’approche « historique » du droit du service public, qui plaçait l’administré en position de soumission vis-à-vis de l’institution qui agissait dans son intérêt, chaque service doit aujourd’hui s’adapter aux droits fondamentaux des usagers et mettre en œuvre le principe de mutabilité (4).
Pour autant, relevons qu’il n’existe pas un droit à la sexualité qui permettrait à un patient d’exiger d’avoir des relations sexuelles. La notion d’aidant sexuel (6) n’a en effet pas encore d’application en droit interne. Il existe en revanche un droit opposable à l’intimité, qui permet à chaque usager du service de demander à en bénéficier. Le règlement intérieur d’un établissement sanitaire ou médico-social doit donc fixer un cadre prévisible pour les visites extérieures, les sorties de courte durée, l’entrée dans la chambre du patient…
Comme le soulignent les juges bordelais, ce cadre doit s’adapter au profil des patients, à leur sensibilité, leur vulnérabilité. Comme dans tout service public, il n’existe pas de liberté absolue et il est possible de prévoir des restrictions à condition qu’elles répondent à des finalités légitimes et qu’elles soient strictement proportionnées.
Sur ce point, signalons une observation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, à propos de la mixité dans les services (7) : « Les règlements intérieurs des établissements hospitaliers réservant, d’une façon générale, l’accès des chambres à leurs seuls occupants » ajoutant que « cette interdiction, licite, permet de contourner celle des rapports sexuels qui, lorsqu’elle est posée comme une interdiction générale, a pu être considérée comme illicite par les juridictions administratives ». Chacun comprendra que, même rédigé de la sorte, un règlement n’empêchera jamais la sexualité.
– Les premières sont du ressort de l’autorité administrative.
– Les secondes, beaucoup plus fréquentes sont le fait des professionnels de santé qui, au quotidien, doivent apprécier concrètement les besoins de chaque patient, en tenant compte non seulement de l’état de santé du patient, mais de sa pudeur, de son âge…
La protection de la personne prend un sens tout particulier dans les services de psychiatrie compte tenu de l’histoire de chacun et de son rapport au corps. La prise en considération de la vie affective et sexuelle renvoie alors à un processus réflexif autour des considérations suivantes : la capacité de consentir, l’autonomie dans la prise de décision, la protection de la personne, son degré de vulnérabilité, le respect de sa sécurité… C’est surtout autour de la question du consentement de la personne que les discussions juridiques ont souvent lieu.
Sans consentement, les relations sexuelles entrent dans un champ pénal infractionnel. Chaque geste, chaque situation doivent être librement consentis. Le handicap et la vulnérabilité de la victime sont des facteurs aggravants des peines encourues par les agresseurs sexuels. Le service a l’obligation de tout mettre en œuvre pour protéger les personnes vulnérables. Cela passe par des réflexions sur le respect de l’intimité, le recueil de la parole de l’individu et pas seulement celle du patient… Les équipes ne doivent pas perdre de vue que le soignant est sexué et que son regard peut être ressenti comme tel par le patient.
Le Haut conseil de la santé publique vient de rendre publics un rapport et un avis (8) sur la santé sexuelle et reproductive, s’intéressant entre autres à la situation des personnes âgées et handicapées, « sujet tabou que les institutions peinent à reconnaître ». Il préconise la prise en compte de la sexualité de ces personnes et propose, au titre des indicateurs, l’évaluation du nombre de règlements intérieurs intégrant la santé sexuelle, ou le nombre d’établissements avec aménagement des espaces au sein des institutions (notamment chambres mixtes). Une évaluation qui fera peut-être évoluer les pratiques en psychiatrie. Le patient n’est en effet pas un être asexué et sa sexualité n’est pas nécessairement pathologique.