La rencontre inaugurale avec un patient fou est vertigineuse.
La mienne a eu lieu lors de ma première garde d’interne en psychiatrie. Le patient est un jeune adulte, je suis à peine plus âgée que lui. Nous prenons place, l’un en face de l’autre. J’ai du mal à croiser son regard. Très vite, sans se présenter, il décrit à l’endroit de son corps une bizarrerie. Il se sent léger, tellement léger qu’il pourrait s’envoler. Cette sensation de ne plus être comme d’habitude, d’être étranger à lui-même, l’amène à consulter en urgence en psychiatrie.
Moi, jeune apprentie, je vis très intensément ce premier face-à-face, presque comme un corps-à-corps, avec le patient. Au fur et à mesure de l’entretien, je me sens devenir lourde, comme si je me remplissais de gravier. Lui se sentait un oiseau, moi une pierre. À son impression insupportable de devenir léger, de disparaître, répond la mienne de devenir lourde, d’être figée. J’étais tétanisée face à lui.
Ce premier entretien psychiatrique s’est soldé par une dérobade. J’ai prévenu mon chef d’astreinte que je ne verrai plus de patients seule durant cette garde. Ma soi-disant vocation pour le métier de psychiatre prenait son premier plomb dans l’aile et cet entretien a été le point de départ d’une prise de conscience sérieuse : écouter, ça s’apprend. J’allais devoir m’exercer à trouver ma place de médecin, à endosser le rôle de psychiatre et à accueillir l’autre, quel qu’il soit, sans faillir. J’allais apprendre un métier et travailler à incarner un rôle difficile à jouer puisque, souvent, la question d’être ou ne pas être, allait être au cœur de mes entretiens avec les patients.