Une voix qui berce…

N° 219 - Juin 2017
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Virginie, l’infirmière de l‘hôpital de jour, a subi une petite intervention dentaire. De son expérience de « patiente », elle retient la voix enveloppante du médecin.

Un mois avant la petite intervention dentaire que je dois subir, je rencontre le Dr B. Il m’assure que l’opération sera indolore et rapide (sept minutes!). Il a de l’expérience, le regard franc, tranquille, et je me fie à lui sans poser davantage de questions. Je quitte sa consultation pleinement rassurée.
J’ai alors le malheur d’en parler à mes collègues, qui me racontent leurs propres expériences avec force détails : « Les dents de sagesse, ah oui, c’est dur! Moi j’ai souffert malgré l’anesthésie, j’ai senti le chirurgien tirer, tirer, j’ai cru qu’il allait me décrocher la mâchoire. » Ou encore : « Tu vas gonfler comme un hamster, tu seras difforme et tu ne pourras plus manger pendant quinze jours! ». Sur Internet, les témoignages effrayants pullulent…

Une voix apaisante

Au milieu de ce brouhaha, je parviens néanmoins à rester sereine. La voix du chirurgien a laissé son empreinte apaisante dans ma mémoire. Mais petit à petit, alors que le jour de l’opération approche, je commence à douter. Je fais des cauchemars.
Le calme revient cependant le matin de l’intervention. Je me prépare rapidement et j’arrive au rendez-vous avec une heure d’avance. C’est un hôpital privé en banlieue parisienne, tout en béton, empli de personnes âgées, l’air perdu, et de patients allongés sur un brancard. Je trouve l’ascenseur des blocs externes et monte au 4e étage. Une secrétaire m’interpelle : « Vous avez rendez-vous en stomatologie? » Je confirme et elle m’invite à la suivre, me tend une blouse, une charlotte et des chaussons en papier et murmure : « On va venir vous chercher tout de suite. »
Assise près d’elle, j’entends les autres secrétaires parler de fibroscopie, de cystoscopie ou d’endoscopie. J’observe ce qui m’entoure, absente, comme si je n’allais pas devoir franchir d’un moment à l’autre la porte battante qui mène au bloc opératoire. Une jeune femme en blanc surgit soudain, et je la suis à travers quelques salles. Enfin, je reconnais le chirurgien et lui souris.
Hurlant comme si j’étais sourde, deux panseuses s’adressent à moi : « Installez-vous sur le fauteuil.
– Vous allez bien? »
– Madame préférerait certainement être ailleurs en ce moment, mais on va faire vite, n’est-ce pas? »
Je reconnais ce timbre doux et sonore. J’observe le Dr B. Il semble si à l’aise dans son milieu qu’il rayonne entre ses instruments. Je commence à me décontracter quand soudain les infirmières posent un champ stérile sur mon visage, avec une ouverture au niveau de la bouche. Mon univers bascule. Je ne distingue plus que des ombres vertes et les voix stridentes des panseuses qui évoquent leurs menus de régimes minceur… Mon cœur bat plus vite, elles parlent comme si je n’existais plus et je ressens une peur confuse de m’effacer, de disparaître…
Heureusement, le chirurgien s’adresse à moi : « C’est sûrement étrange pour vous, Madame, de nous entendre parler comme ça entre nous, mais c’est le bloc, ici, c’est un peu comme ça qu’on travaille… » Juste au-dessus de mon visage, il m’explique qu’il va me piquer tout autour de la gencive, que ce sera peut-être sensible mais indolore. Je le suis sur un fil tout en l’écoutant. Je ne sens rien, sa voix m’enveloppe, j’ai la sensation d’être hypnotisée et de marcher au bord d’un gouffre, sans avoir peur.
« Ça va vibrer et faire du bruit, mais ça ne fait pas mal. » Je suppose qu’il coupe la gencive, qu’il fraise l’os. Je me dis tout ça tranquillement. Je sens qu’il essaie d’enlever la dent. À peine. Très délicatement. À nouveau, le bruit de la fraise. Puis il tire et la dent vient : « C’est terminé, Madame, je vais recoudre et vous pourrez rentrer chez vous. »
Je devine le gros et long fil blanc qui entre et sort de ma bouche. « Mordez dans les compresses, voilà, c’est fini. »
La femme en blanc me raccompagne de l’autre côté. Je reprends mes esprits peu à peu et rentre chez moi.

Un peu d'humain

Aujourd’hui, les fils sont tombés et j’ai presque tout oublié, sauf la voix tranquille du chirurgien qui m’a guidée comme une lampe dans le noir.
Quel que soit son lieu d’activité, au bloc, en psychiatrie ou en soins généraux, le soignant travaille avec ses connaissances mais surtout avec son savoir être. Il suffit parfois seulement d’un peu d’humain, d’une voix qui accueille, berce et borde pour apaiser angoisses et souffrances…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e