Une bien gentille famille

N° 189 - Juin 2014
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Un jour tranquille à l’hôpital de jour… Bernadette, 13 ans, seule ado restée dans le service, projette son envie de parents « ordinaires » sur deux soignants.

C’était pendant les vacances de Pâques et l’Hôpital de jour (HDJ) était très calme. Deux soignantes avaient emmené un groupe en sortie pour l’après-midi et il ne restait que Bernadette, qui avait décliné la proposition d’expédition. Elle tournait autour de la salle de repos des soignants : « Tu viens, Virginie? » Je repoussais le moment de la rejoindre, la perspective de passer l’aprèsmidi avec Bernadette collée à moi ne me tentait guère…

Un père absent

13 ans, Bernadette est une grande jeune fille d’origine africaine d’à peine 40 kg. Malgré un bon niveau scolaire et un langage assez riche, elle est souvent « ailleurs ». Peu accessible aux autres, elle se réfugie dans des attitudes de balancements, chantonnements. Elle s’accroche souvent physiquement aux soignants en cherchant avec eux une relation privilégiée. Au début de la prise en charge, elle ne venait à l’HDJ qu’une journée par semaine mais ses cris perçants à la moindre contrariété mettaient nos nerfs et nos oreilles à dure épreuve. Pour Bernadette, le groupe est une violence : elle crie, frappe les autres, provoque, crache et griffe. Elle cherche au fond à se faire exclure, pour se retrouver en tête à tête avec le soignant, voire avec sa maman. Bernadette vit seule avec elle et sa grandmère. Son père, diplomate, travaille en Afrique et ne vient voir sa famille qu’une ou deux fois par an. Lorsqu’il est de passage, nous le savons car l’adolescente est méconnaissable. Calme, elle s’intègre aux groupes et se montre plus présente.

Promenade au parc

C’est donc une période de vacances. Bernadette fait le pied de grue devant la porte. Arrive Hugo, un jeune interne en médecine. Il est disponible et propose de se joindre à nous pour une balade dans un grand parc, juste à côté de l’hôpital. Hugo connaît très bien Bernadette. À son arrivée à l’HDJ, il l’a longuement contenue dans l’infirmerie alors que la jeune fille hurlait d’angoisse en arrachant le papier peint, frappant la porte et les murs jusqu’à se blesser.
Dès que nous sortons de l’hôpital, Bernadette nous prend chacun par la main. Je me sens terriblement gênée parce que s’impose à moi l’image que nous donnons, celle d’un couple avec son enfant. Pourtant, nous travaillons régulièrement en équipe cette notion de binôme, je suis habituée à former un « couple parental » avec un collègue dans différents ateliers.
Nous nous dirigeons ainsi tous les trois jusqu’au parc. Bernadette affiche un sourire radieux. Dès la grille, elle s’élance devant nous comme pour nous ouvrir le chemin. Hugo me chuchote : « Tu crois que les gens pensent que Bernadette est notre fille et qu’on l’a adoptée ? » Partageant donc le même ressenti, nous continuons à suivre « notre fille » à travers les allées du parc. « Où sont les jeux pour les enfants? », crie Bernadette. Nous la conduisons vers les toboggans, murs d’escalades pour les 8-10 ans, mais elle nous entraîne vers les activités pour les tout-petits. Un peu surpris, Hugo et moi nous asseyons sur un banc au milieu de parents et de nourrices tandis que Bernadette, juchée sur un cheval à ressort, nous fait des signes joyeux de main. Je ne la lâche pas des yeux, un peu inquiète, car lors d’une précédente sortie en métro, Bernadette a failli frapper un bébé qui pleurait trop fort à son goût. Puis, comme tout se passe bien, je discute tranquillement avec Hugo en jetant parfois un coup d’œil à Bernadette. Les jeunes enfants observent d’abord avec étonnement cette grande fille qui s’amuse sur une balançoire trop petite pour elle. Puis ils grimpent à côté d’elle sur le tourniquet, le temps de quelques tours. Régulièrement, elle se tourne vers « ses parents » pour vérifier qu’ils sont toujours bien là. Après un long moment, Bernadette revient finalement s’asseoir entre nous : « Je suis fatiguée maintenant, je voudrais rentrer à la maison.
– Tu veux dire à l’hôpital de jour? »
Sereine, elle me sourit : « Oui, Virginie, à l’hôpital de jour. »

Un temps pour le rêve…

Sur le chemin du retour, le charme semble rompu. L’adolescente marche loin devant nous. Elle a laissé la petite fille de 2 ans avec ses parents quelque part sur le banc du square et rentre seule à l’hôpital. Être soignant en psychiatrie, c’est parfois se laisser utiliser par les patients qui nous emportent dans leurs rêves et leurs illusions, juste le temps d’une promenade…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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