Un parfum d’aventure

N° 220 - Septembre 2017
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Profitant de l’été, deux soignants proposent aux adolescents de l’hôpital de jour un pique-nique en forêt. L’occasion d’une parenthèse dans la nature…

C’est le mois d’août, et l’occasion de proposer des activités différentes. Avec mon collègue éducateur, Michel, nous organisons ce jour-là une sortie nature avec quatre patients : un pique-nique en forêt.
Michel prend le volant de l’estafette du service et chacun s’installe. J’aide Alexis, 15 ans, et Noëlle, 14 ans, à attacher leurs ceintures. Alexis est un jeune ado autiste plutôt mutique et très apragmatique. Il ne souhaitait guère s’inscrire pour la sortie mais il a finalement accepté « pour nous faire plaisir ». Devant lui, Myriam et Sacha, 16 ans, papotent, l’air ravi. Michel détaille le parcours et, après environ une heure de trajet, la petite troupe arrive en lisière de la forêt où elle s’installe sur une aire de pique-nique. 

Un cérémonial

Pendant l’année, j’anime un groupe randonnée dans Paris avec un autre collègue. Nous préparons avec les jeunes des sandwichs qu’ils mettent chacun dans leur sac à dos. Aujourd’hui, nous emportons les ingrédients de notre déjeuner dans une glacière : quelques grosses tomates, des œufs durs, des cuisses de poulet, un tube de mayonnaise, quatre baguettes et des serviettes en papier. J’ai en tête les difficultés d’Alexis et de Noëlle au niveau de la motricité fine et je me demande comment ils vont se débrouiller. À l’hôpital de jour, il faut souvent les aider au moment du repas, par exemple à découper leur viande…
Myriam s’installe, saisit un couteau et entreprend de couper une tomate en tranches sur sa serviette. Alexis et Joëlle restent debout, un peu ahuris, tandis que Sacha photographie les arbres alentour avec son téléphone portable. Tranquillement, Michel attrape une cuisse de poulet avec ses doigts et sort son couteau suisse pour détacher la viande de l’os. Pendant qu’il s’affaire méthodiquement, Noëlle coupe un morceau de pain pour chacun et je lui montre comment l’ouvrir pour y glisser le poulet. Myriam aide Alexis à ouvrir le tube de mayonnaise pour garnir le pain. Moi aussi, je mets la main à la pâte et aide Michel à décortiquer les cuisses de poulet. Mes doigts sont rapidement couverts de graisse et je résiste à l’envie de les lécher pour les nettoyer.
Moi qui n’aime guère manger dehors, je me surprends à apprécier ce moment de partage. J’accepte les morceaux de tomate de Myriam, j’écale les œufs durs et les coupe en lamelles à ajouter aux sandwichs. Dans mon groupe randonnée, chacun déballe le sien et le mange silencieusement, c’est propre et efficace. Là, avec mes mains luisantes, je sens vraiment un partage, je me laisse offrir un œuf, un morceau de poulet ou de tomate et je me régale. Ce pique-nique est une véritable cérémonie et les jeunes semblent heureux de manger avec leurs doigts, comme si le fait de toucher la même nourriture nous rapprochait un peu plus au sein de Dame Nature.
L’après-midi, nous marchons le long des sentiers. Les ados respirent le parfum des fleurs, ramassent des plantes, hèlent Michel dès qu’ils font une découverte. « Regarde, regarde, c’est quoi ce truc noir, là ? », demande Myriam, désignant un gros insecte. Il s’arrête, observe et tous l’entourent pour l’écouter. « Ah, ça s’appelle un bousier. Il roule de la boue avec ses pattes puis la mange.
– Beurk, répond Myriam, c’est dégueulasse ! » Cette jeune fille psychotique peut présenter des attitudes massives de retrait quand elle a peur. Ici, je la perçois plutôt confiante, rassurée par la présence paternelle d’un soignant. Percevant l’aboiement d’un chien, elle fonce se cacher dans les bras de Michel, qui lui tapote la main gentiment : « Il est loin, Myriam, ne t’inquiète pas. »
Après 2 heures de balade, nous reprenons le chemin de la capitale. Alexis remplit sa bouteille à une fontaine d’eau potable tandis que Sacha, mécontent, frotte ses chaussures neuves maculées de boue. Je le rassure : « Laisse-les sécher, on va les frotter avec une brosse en rentrant, ce sera tout propre! » 

Une parenthèse

Cette sortie nature, celles qui ont suivi, ont permis aux jeunes de renouer contact avec leurs sens et d’explorer sereinement leurs ressentis. Ils ont fait des expériences nouvelles et se sont adaptés. Pendant cette parenthèse d’été, la forêt est devenue espace d’apprentissage, d’échanges et de découvertes mutuelles.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e