Un caïd…

N° 174 - Janvier 2013
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Sam, 15 ans, est rejeté par son père qui ne supporte pas les difficultés psychiques de son fils. L’équipe soignante tente de contenir sa violence pour l’aider à se construire.

Sam, 15 ans, est un jeune qui, l’air de rien, possède une grande capacité à semer la zizanie dans un groupe. Il dresse les adolescents uns contre les autres et se montre parfois agressif, comme lorsqu’il donne, en passant, une chiquenaude à Dan, un jeune autiste qui lève la tête, surpris, sans comprendre…
Petit et volubile, Sam parle très fort et se vante beaucoup. Quand il est énervé, il se frappe les dents avec ses poings. Il ne sait ni lire ni écrire et en souffre terriblement. Parfois, il s’approche d’un soignant et fait le « tout-petit ». Il apparaît alors fragile, en demande d’affection, et il est difficile de ne pas répondre à ses demandes d’amour et d’attention. Il se montre ainsi en particulier avec ceux qui s’occupent de lui individuellement comme l’orthophoniste, l’institutrice ou le psychomotricien. Mais face au groupe de jeunes de l’hôpital de jour, Sam veut être le leader. Parmi ses pairs, il est craint, évité, adulé ou détesté…
Ce matin, il arrive avec sa trottinette et interpelle un patient obèse : « Eh, gros lard! » Il joue les caïds et raconte une bagarre de la veille où il aurait « cassé la gueule » à un dealer de son quartier : « Alors tu vois, je lui ai pété la tête, cassé les dents, ensuite je l’ai jeté par terre pour lui donner des coups de pieds. » Les jeunes rient devant Sam qui fait son show. Il faut l’intervention de mon collègue éducateur, Michel, plutôt baraqué et doté d’une grosse voix pour que Sam se calme un peu. Nous soupirons car nous savons tous qu’il recommencera cinq minutes plus tard.
En effet, quelques instants après, Sam se moque des cheveux gris d’une collègue, de l’accent espagnol d’une autre, et critique mes baskets : « Même pas de la marque! » Même en gardant à l’esprit ses difficultés, il nous est difficile de ne pas pointer les moqueries qu’il adresse aux soignants.

Enfant renié

Sam est le benjamin de la famille. Après deux filles, il était le petit garçon tant attendu par ses parents. Malheureusement, Sam a souffert d’une forme rare et grave d’épilepsie du nourrisson qui a entraîné chez lui des séquelles cognitives. Son développement en a été lourdement affecté et son père a très vite rejeté cet enfant malade, si loin du fils idéal. Nous savons que Sam subit chaque jour les moqueries et les insultes de son père qui le traite de « minable », « débile », « pédé »… Souvent, ses sœurs, dont l’une est au lycée, le raillent aussi. Lui se fait tout petit, se garde bien de répondre à son père, mais il insulte et frappe ses sœurs en les traitant de « salopes ». La mère, analphabète, tente tant bien que mal de protéger son fils, mais elle se sent très impuissante face à son mari. Au cours d’un entretien, elle nous confie que lorsque ce dernier sort avec Sam, il pousse l’enfant devant lui. Il lui demande de ne surtout pas l’appeler « papa » devant quelqu’un d’autre.

La quête du père

À l’hôpital de jour, Sam est visiblement en recherche de figures paternelles fortes et non rejetantes. Yves, mon collègue éducateur qui forme avec moi son binôme de référents, l’a pris sous son aile et essaie souvent de l’extraire de conflits. Il le prend à part et lui lit des articles de journaux. L’adolescent bouillonne, s’énerve, insulte Yves et les autres mais son référent est solide comme un roc. Yves est ainsi un « père suffisamment bon » dont Sam supporte les remontrances quand il sait être allé trop loin… Avec moi, les choses se passent différemment. La première fois qu’il est venu vers moi, il me tendait une publicité pour un téléphone portable : « Tu sais, mon père va me l’offrir pour mon anniversaire, t’as vu, c’est la classe ! » Parfois, il joue au petit sans défense et je peux alors entamer une relation privilégiée avec lui. À d’autres moments, il m’attaque en tant que femme, jamais directement mais en évoquant ses sœurs qui s’habillent « comme des putes », se maquillent trop… Souvent, je le reprends parce qu’il ridiculise les autres jeunes et particulièrement Aicha, qui prononce à peine quelques mots. Devant la mine dégoûtée de Sam, je peux imaginer à quel point l’image d’Aicha, si régressée, lui fait violence et lui rappelle de manière très crue qu’il fait partie de ce groupe d’adolescents malades.

A petits pas

Avec Sam, nous avançons à petit pas, nous échangeons beaucoup en équipe pour nous protéger de sa violence. Nous savons qu’il a besoin d’un dispositif solide et de soignants résistants pour se construire un contenant suffisamment stable et ainsi se sentir moins attaqué.

Virginie Jardel, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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