S’accrocher aux autres ?

N° 203 - Décembre 2015
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Souffrant d’un trouble envahissant du développement, Mathias, 16 ans, arrive à l’hôpital de jour. Chacun doit faire des efforts d’adaptation pour que ce « nouveau » intègre le groupe.

À 16 ans, Mathias souffre d’un trouble envahissant du développement avec un gros déficit. Nous l’accueillons à l’hôpital de jour (HDJ) pour adolescents depuis septembre, en lien avec l’hôpital de jour pour enfants où il était suivi jusque-là. À son arrivée, nous sommes frappés par son regard de côté. Ses yeux ne se posent jamais vraiment sur ce qui est face à lui mais s’échappent toujours dans les airs. Mathias déambule, sans point d’accroche et sans s’arrêter. Quand on l’appelle, il s’avance comme s’il allait nous percuter. Il répète tout ce qu’on lui dit en écholalie… Mathias s’habille avec des vêtements très serrés pour mieux sentir son corps et ne supporte que des vêtements doux qui ne l’irritent pas.

Du temps pour la rencontre

Nous apprenons que son histoire est d’abord celle d’une relation privilégiée avec sa mère, rompue par la naissance de deux petites sœurs quand il avait 7 ans. L’hôpital de jour pour enfant nous a prévenus que Mathias ne supporte pas la frustration et peut entrer dans de grandes colères. Mais nous sommes plutôt surpris par sa docilité et son calme apparent.
Pour ne pas quitter trop brusquement l’hôpital de jour enfants, Mathias vient à temps partiel (lundi, mardi, mercredi) pendant quelques semaines. Nous faisons connaissance au travers des groupes où il nous suit passivement et s’assoit avec les autres, faisant mine de suivre…
C’est à table (ou dès qu’il doit utiliser ses mains) que ses difficultés sont les plus apparentes. Mathias a du mal à tenir ses couverts, saisit le couteau de quelqu’un d’autre et mange dans l’assiette de son voisin. Nous peinons à lui trouver des activités : il ne regarde pas l’écran de l’ordinateur, ne comprend pas des consignes simples, ne sait pas lancer un ballon ni l’attraper… Nous adaptons au maximum nos groupes afin de l’intégrer et de le faire participer. Que lui proposer? Nous essayons d’être créatifs. Mathias peut, en pâtisserie, toucher, malaxer, pétrir de la pâte, goûter différentes saveurs, se mettre à table avec nous pour déguster ce qu’il a pu préparer… En éveil corporel, nous l’aidons à consolider ses appuis, en lui faisant sentir son ancrage dans le sol. C’est surtout dans le quotidien, au travers des soins informels, que la rencontre a lieu. Être avec les autres, mettre la table, arroser les plantes… Là, Mathias est présent et participe volontiers.

« Mathias s'est assis sur moi… »

Petit à petit, Mathias tente de créer des liens avec d’autres jeunes, mais d’un peu trop près! Meddy vient nous voir, puis Stephen, puis Jo : « Mathias essaie de me prendre dans ses bras »; « Il m’a touché plusieurs fois le dos et les cheveux et vient s’appuyer sur moi » « Il s’est mis assis sur moi »… Nous tentons d’expliquer au jeune homme qu’il ne doit pas toucher les autres. Il sourit, dit gentiment : « D’accord! », regarde le plafond et… recommence. Devant la menace de certains jeunes de lui « casser la gueule », nous le gardons avec nous pour le protéger mais dès que nous avons le dos tourné, il file… Heureusement Mathias ne prend pas de coups mais un jeune patient s’attaque tout de même à ses affaires. Nous sommes un peu inquiets : que se passera-t-il quand il fréquentera l’HDJ à temps complet? Préventifs, nous sensibilisons les plus impulsifs à la fragilité de Mathias, en entretien individuel ou en groupe. « Souvenez-vous, leur dit une collègue, quand vous êtes arrivés ici, vous aviez peur aussi, vous ne connaissiez personne… et bien pour lui c’est pareil. » Les semaines passent et même si Mathias ne peut s’empêcher de toucher une ou deux personnes dans la journée, les adolescents deviennent moins agressifs et viennent nous chercher.
Puis les vacances arrivent et c’est l’occasion pour nous de découvrir Mathias en petit groupe, de l’emmener en sortie, à la piscine… Quelque chose d’important se joue dans ces moments privilégiés, qui lui permet ensuite de ne plus être impérativement dans le contact physique. D’ailleurs, nous remarquons qu’il retient de plus en plus les prénoms des autres ados et les appelle.
Depuis peu, nous l’accueillons à temps plein et Mathias participe régulièrement aux groupes « éducation à la sexualité garçon » et « danse ». Notre appréhension se révèle infondée : il se « raccroche » beaucoup moins aux autres. Venir tous les jours, retrouver le même groupe, semble au contraire calmer son angoisse. Peutêtre que Mathias, moins perdu dans l’espace et le temps, peut enfin cesser de s’agripper à ses pairs et observer tranquillement ce qui l’entoure. Peut-être trouvera-t-il à l’hôpital de jour les appuis qui lui font défaut pour grandir.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .