Quel avenir pour Swann ?

N° 214 - Janvier 2017
FacebookTwitterLinkedInEmail

À 22 ans, Swann, qui souffre d’autisme, doit quitter l’hôpital de jour. Sa famille, en quête d’un semblant de « normalité » veut qu’il s’insère dans le monde du travail, malgré ses difficultés.

J’ai déjà parlé de Swann et de sa famille (1). Souffrant d’autisme, ce jeune homme de 22 ans se rêve en super-héros. Il s’habille de façon élégante et un peu désuète et adore regarder des dessins animés. Il a atteint l’âge de quitter l’hôpital de jour et nous tentons de construire un autre projet avec lui. Sa famille, et surtout sa mère, souhaite que son fils travaille en milieu protégé, ce que Swann refuse énergiquement. L’année dernière, il a effectué un stage dans un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT) de papeterie. Il s’est montré consciencieux, mais nullement intéressé.

« Il a peur… »

Ce jour-là, j’ai accompagné Swann à un entretien dans un ESAT restauration à Paris. La discussion a tourné à l’orage et Swann a quitté la pièce en claquant la porte. Nous rentrons tous les deux à l’hôpital de jour. Swann marche devant moi à grand pas, chapeau vissé sur la tête, bras croisés et visage renfrogné. « Espèce de…! hurle-t-il, stupides personnages, bande d’abrutis, espèce de… ». Il gesticule dans tous les sens comme une marionnette. Je l’attrape par la manche : « Eh, Swann, tu pourrais être plus poli avec moi, tu crois que ça m’amuse de t’accompagner dans cet ESAT, de te traîner là-bas alors que visiblement tu t’en fiches complètement de ce stage? ». Il a l’air surpris de mon ton véhément.
« Swann, c’est toi qui vas raconter comment s’est passé l’entretien. » Il acquiesce pour la première fois de la journée. À notre arrivée, il s’assied dans la salle commune et attend, mutique. Il ne parvient pas à répondre aux questions des autres jeunes ni à celles des soignants. Il s’isole en marmonnant des injures.
De mon côté, j’appelle sa mère. Sans un mot, elle m’écoute lui raconter l’attitude fermée de son fils depuis le début de la matinée. Ses regards noirs tout au long du trajet et son discours de refus du travail et, enfin, l’entretien à l’ESAT où Swann, extrêmement angoissé et démuni face aux questions, a fini par claquer la porte. Elle reste silencieuse et je la sens très angoissée.
« Il a peur, me dit-elle. Il a sûrement eu extrêmement peur. Nous allons en parler ce soir à la maison avec son papa.
– Vous savez, Madame, je ne suis pas sûre qu’il ait très envie de travailler plus tard.
– De toute façon, il n’aura pas le choix, nous lui avons déjà expliqué qu’il n’est pas possible d’être adulte sans travailler et qu’il devra gagner sa vie quand son père et moi nous ne serons plus là. Qu’est-ce qu’il a dit quand le moniteur lui a fait visiter la cuisine?
– Il n’a pas écouté et n’a pas souhaité poursuivre.
– Évidemment il veut devenir super-héros, alors le service en salle, forcément, ça doit lui passer complètement par-dessus la tête. Ne vous inquiétez pas, nous allons reprendre ça ce soir avec son père, je suis sûre qu’il aura moins peur et qu’il acceptera d’y retourner pour un deuxième entretien. »

L’enfant idéal

Je raccroche, un peu dépitée. Mes collègues se montrent encore plus agacés que moi par cette mère qui s’acharne à pousser son fils dans la voie du travail. De notre point de vue, considérant ses difficultés et sa personnalité, Swann aurait davantage sa place dans un autre établissement de soin, type Centre d’accueil de jour pour adultes.
Les parents de Swann sont présents pour leur fils et soucieux de son bonheur. Ils ont confiance en nous et adhèrent aux soins depuis de longues années, tout en soulignant les progrès de Swann et en nous remerciant pour notre travail. Mais ils nous paraissent peu réalistes pour envisager l’avenir de Swann. Pour eux, l’enfant idéal serait celui qui pourrait s’insérer dans le monde du travail malgré ses difficultés relationnelles et donner l’illusion d’un semblant de normalité à sa famille. Le médecin nous parle de la lutte active de la mère contre un effondrement dépressif qui menacerait l’équilibre familial. Pour lui, il ne sert à rien d’annoncer à une famille dans un tel déni que leur fils fera certainement échouer tous les projets pour ne pas devoir travailler puisque la mère n’est pas prête à l’entendre.
Faut-il alors laisser ses parents accompagner leur fils au prochain entretien? Comment aider Swann à faire entendre sa voix, à progresser encore durant ces quelques mois parmi nous, et surmonter (un peu) ses angoisses face à l’inconnu? Devenir adulte ravive bien des blessures…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

1– La vie héroïque de Swann. Les petits bonheurs du soin, Santé mentale n° 202, novembre 2015

Pack FAMILLE

N° 95 Plainte de la personne âgée: souffrance de l'aidant familial et du soignant
N° 159 La famille dans les soins
N° 171 La famille et son parent âgé
N° 241 Quel accueil pour les familles ?
N° 258 Approche familiale des troubles bipolaires

Plus d’informations