En psychiatrie, peut-on refuser à un patient de recevoir du courrier?

N° 222 - Novembre 2017
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Hospitalisé en psychiatrie, le patient reste sous le régime du droit général. Le juge administratif a ainsi estimé illégale une mesure de rétention de courriers et demandé une indemnisation.

Le juriste constate que le contentieux relatif aux droits fondamentaux des patients admis en psychiatrie ne cesse de se développer. En la matière, le juge administratif tend à appliquer à ce service public les règles du droit général. Les services qui accueillent des personnes vulnérables et/ou sous contrainte se voient ainsi progressivement tenus de modifier leurs pratiques.

Les droits fondamentaux du patient

Ainsi, dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État concluant à l’illégalité du refus de visite à un patient en chambre d’isolement (1), le tribunal administratif de Rennes vient de rendre une décision qui renforce à la fois les droits des usagers contraints et ceux de leurs proches (2). En l’espèce, Monsieur R. a adressé plusieurs envois postaux à l’une de ses amies hospitalisée en psychiatrie. Or, ces courriers ne sont jamais parvenus à leur destinataire. Estimant illégale cette rétention de courriers, Monsieur R. a tout d’abord adressé une requête au directeur de l’établissement, lui demandant de faire cesser cette pratique et de lui verser des dommages et intérêts pour préjudices matériels (frais postaux) et moraux (atteinte à son droit fondamental de correspondance). N’ayant pas obtenu satisfaction, il a dans un second temps saisi le tribunal administratif. Cette affaire permet de dégager plusieurs points importants :

• Le juge administratif est compétent pour ce type de litige
En l’espèce, il ne s’agissait pas de se prononcer sur la légalité de la décision individuelle d’hospitalisation de la patiente (3) mais de contrôler la manière dont l’établissement d’accueil fonctionne au quotidien, pour engager sa responsabilité en cas de faute. Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, le tribunal administratif, faisant abstraction de la forme d’hospitalisation, a considéré que la décision par laquelle un établissement public de santé mentale intercepte et retient des envois postaux adressés à un patient est une mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier. Par conséquent, le juge administratif est compétent pour statuer. Une telle décision produit des effets juridiques vis-à-vis des usagers du service (en soins libres ou en soins contraints), mais également vis-àvis des tiers (auteurs ou destinataires des courriers).

Le cadre du droit général s’applique
L’hôpital n’est pas hors de la cité. Il est donc tenu de respecter l’ensemble des règles qui protègent les droits et libertés fondamentales des individus. Le tribunal administratif va ainsi s’appuyer sur les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) et sur celles du code de la santé publique, en particulier son article L. 3211-3, qui dispose que « lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques (sous contrainte), les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. (…) En tout état de cause, elle dispose du droit (…) d’émettre ou de recevoir des courriers ». Le tribunal administratif cherche à définir si l’établissement a commis une faute en ne respectant pas le cadre fixé par loi, c’est-à-dire s’il a fait un usage disproportionné de son pouvoir discrétionnaire.

Les modalités du contrôle effectué par le juge
Dans cette affaire, la patiente a reçu les courriers un mois après son hospitalisation. Le tribunal peut certes admettre que certains envois postaux ne soient pas remis immédiatement à un patient, mais à condition que l’établissement soit en mesure de justifier de manière circonstanciée les raisons qui l’y ont conduit. Il s’agissait d’envois de lettres et d’un colis de denrées alimentaires (des dattes). Le psychiatre ne peut s’opposer à une remise de courrier que pour des motifs médicaux correspondant à l’état clinique du destinataire. De son côté, le directeur (ou son représentant) peut le faire pour des raisons de sécurité. Dans les deux cas, le refus, strictement limité dans le temps, doit être motivé et signifié à l’envoyeur et au destinataire. Ce n’était pas le cas ici.

L’indemnisation des préjudices subis
Toute décision administrative d’illégalité est constitutive d’une faute susceptible d’engager la responsabilité du service qui en est à l’origine. Estimant que la rétention de courrier était illégale, le juge admet donc la faute de l’établissement. En conséquence, il alloue à la victime (l’auteur de l’envoi) une indemnisation de 302,40 euros (300 pour préjudice moral et 2,40 pour préjudice matériel). Une indemnisation symbolique mais une décision importante.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud

1– Conseil d’État, 26 juin 2015, n° 381648. Lire aussi sur ce sujet : À l’hôpital, peut-on refuser un droit de visite à un proche? Santé mentale n° 202, novembre 2015, et sur le site www.santementale.fr, rubrique led droit en pratique
2– TA de Rennes, 5 octobre 2017, R. contre CHS Guillaume Régnier, n° 1604957
3– Ce type de contentieux relève désormais de la compétence exclusive du juge judiciaire et plus précisément du juge des libertés et de la détention.