Des clés pour le quotidien

N° 187 - Avril 2014
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Des actes courants laissent parfois bien démunis les adolescents de l’hôpital de jour. Un groupe « autonomie » vise à les rendre plus indépendants.

L’un des premiers apprentissages demandés aux jeunes patients de l’hôpital de jour (HDJ) est de pouvoir s’y rendre seul. Pour ces adolescents, qui souffrent de troubles envahissants du développement (TED) ou de psychoses infantiles, se déplacer seul ou utiliser les transports en commun reste une épreuve. Dans les premiers temps de leur prise en charge, leur soignant référent peut les accompagner pour qu’ils puissent se repérer et mémoriser leur trajet.
Ces adolescents restent cependant très démunis en dehors de l’institution. Des savoirs faire a priori simples comme acheter un ticket de bus, passer le portillon du métro, préparer un sandwich, faire des courses dans un supermarché… leur posent souvent problème. Dans le cadre du groupe « randonnée » (voir Santé mentale n° 180), nous leur avons donc proposé de nous conduire à leur domicile, ce qui a permis à chacun de faire découvrir aux participants son quartier et ses compétences en matière d’orientation. Après le succès de cette opération, nous avons mis en place un groupe « autonomie ». Il rassemble six jeunes qui souffrent de difficultés de lecture et d’écriture et de problèmes temporospaciaux : Myriam et Julie, très régressées, qui prononcent à peine quelques mots tiroirs; Marine qui, sans savoir lire, s’exprime et comprend plutôt bien; Jénaro, Raoul et Zack, qui déchiffrent un peu et sont scolarisés quelques heures par semaine dans des classes spécialisées. Ces trois-là sont les « plus forts » du groupe.

Un ticet à mille euros…

Aujourd’hui, nous avons décidé de travailler sur l’argent. À partir de trois objets familiers – un ticket de métro, une carte postale et une bouteille de Coca-Cola – nous allons aborder les questions du prix et de la manipulation de la monnaie. Nous commençons par une discussion. Combien coûte un ticket de métro? « Mille euros », s’exclame Marine. « Euros, euros » répètent en chœur Myriam et Julie. Les garçons réfléchissent : « 10 euros? », tente Raoul. Jénaro, qui habite assez loin et achète seul ses titres de transport, répond avec précision : « 13,30 euros ». Ce qui est effectivement le prix d’un carnet de dix tickets. Nous lui demandons d’inscrire la somme au tableau, et Jénaro a bien du mal à placer la virgule.
Nous passons ensuite à la pratique. Deux par deux, accompagnés d’un soignant, les jeunes disposent d’un billet de 5 euros pour aller acheter un des trois objets choisis. Avec Zack et Jénaro, je pars donc en quête d’une bouteille de Coca-Cola. Jénaro garde précieusement l’argent au fond de sa poche et prend la tête de notre trio car il connaît bien les supermarchés des alentours. À l’entrée du magasin, les deux adolescents sont happés par une promotion sur les croissants…
« On peut acheter les croissants ? me demande Zack. C’est pas cher ! » Jénaro approuve mais je rappelle l’objectif de la sortie et il nous conduit au rayon des boissons. Combien coûte la grande bouteille de Coca-cola? Je désigne l’étiquette à Zack : « 140 euros? – Hum, tu as oublié la virgule, non? » A-t-on assez d’argent? Combien va-t-on nous rendre ?…
Jénaro lance à la caissière quelques phrases difficilement compréhensibles avec un grand sourire : « Africaine, Africaine? Tu es africaine. Tu connais Djénéba ? Djénéba, c’est ma sœur, c’est aussi une Africaine, Djénéba, Africaine… » La jeune femme lui sourit. À 16 ans, Jénaro est un beau garçon africain avec une voix très aiguë et un débit de parole très rapide. Il interpelle toutes les Africaines qu’il croise comme s’ils les connaissaient. Il est en général assez bien reçu car il se montre souriant et avenant.

Bilan des courses

De retour à l’HDJ, chaque groupe raconte « son » expédition et tous paraissent fiers d’expliquer comment ils se sont sortis d’éventuelles démêlées. Marine et Julie ont chacune utilisé un distributeur automatique de tickets de métro. Myriam et Raoul rapportent de la papeterie une belle carte postale avec une photo de chat.
Le groupe « autonomie » permet ainsi à ces adolescents de développer des habiletés fonctionnelles et sociales et d’accroître leur confiance en eux. Le niveau du groupe est très hétérogène, ce qui en fait la richesse. Comme les pièces d’un puzzle, des compétences parfois insoupçonnées viennent se compléter et permettre à chacun de progresser.

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .