Réinsertion des mineurs enfermés

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Auditionné le 19 avril par la mission d'information sur "la réinsertion des mineurs enfermés", récemment constituée au Sénat,  le conseiller d'État Jean-Marie Delarue, ancien Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL), s'est exprimé sur les questions suivantes : la prison joue-t-elle convenablement son rôle de réinsertion, notamment pour les mineurs ? Ou pensez-vous que des solutions alternatives devraient être privilégiées ? Il s'est aussi exprimé sur la question de l'hospitalisation des mineurs hospitalisés en psychiatrie sans consentement.

M. Jean-Marie Delarue – La première question sur laquelle vous m'interrogez est celle de l'efficacité dissuasive de l'enfermement, qui est très difficile à évaluer. Pour y parvenir, il faudrait en effet comparer deux cohortes : l'une de jeunes en prison et l'autre purgeant des peines alternatives pour les mêmes délits, sachant que les délits commis par les jeunes sont souvent les mêmes : trafic de stupéfiants, vols avec violence, outrage à agents, coups et blessures volontaires. Or, en France, les statistiques ne procèdent pas suffisamment à ce type de travail longitudinal sur des cohortes. La prison se laisse en outre mal appréhender par ce genre d'études, pour la bonne et simple raison que l'emprisonnement des personnes est souvent considéré comme la seule raison d'être de la prison, dans un but de protection de la population. Cette conception occulte le fait que la prison a pour missions de punir, mais aussi de réinsérer et de prévenir la récidive.

Certains éléments de réponse peuvent néanmoins se retrouver dans les études consacrées à l'aménagement des peines, qui montrent que plus on bénéficie de mesures d'aménagement de peine, moins on est porté à la récidive. Cependant, les mineurs sont peu concernés par ces aménagements de peine, puisqu'ils restent peu de temps en prison. Leur séjour en détention n'excède pas quatre mois en moyenne, contre onze mois pour l'ensemble de la population carcérale. 

La perspective de l'enfermement est-elle dissuasive ? C'est sur cette présomption que repose la solennité carcérale au XIXe siècle. À l'aune de mes entretiens avec différents détenus, y compris les mineurs que j'ai pu rencontrer, je suis obligé de répondre négativement à cette question. La prison, au moment où l'on commet un acte délictuel, ne fournit pas une perspective qui va freiner le geste. À l'inverse, la prison serait-elle, pour certains individus, une étape obligatoire vers un parcours glorieux de délinquance ? C'est possible, mais cet effet me paraît marginal.

Le calcul du nombre des mineurs enfermés chaque année en France n'intéressait personne, au moins jusqu'en 2012, date à laquelle le Contrôle des lieux de privation de liberté en a publié le chiffre. La population des mineurs en prison représente entre 600 et 800 détenus, soit 1,2% de la population carcérale. Ce chiffre est stable depuis un quart de siècle, quelle que soit l'évolution de la délinquance juvénile, alors que la population carcérale a doublé depuis 2001. Si l'on considère le flux, on constate qu'entre 3 200 et 3 500 jeunes entrent en détention chaque année. Ce chiffre doit être comparé avec les 250 000 jeunes mis en cause par la police nationale et la gendarmerie et avec les 165 000 affaires initiées par le Parquet, ainsi qu'avec les 92 500 mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En 2016, 445 enfants sont également entrés en centre éducatif fermé (CEF).

Le nombre de mineurs placés en garde à vue est mal connu. En extrapolant à partir des visites effectuées par le Contrôle des lieux de privation de liberté dans les commissariats, où quelque 20% des personnes en garde à vue sont des mineurs, il y aurait, chaque année, environ 85 000 mineurs placés en garde à vue.

Si l'on considère les seules mesures d'enfermement dans la durée, on dénombre 6.850 mesures d'enfermement, à comparer aux 90 000 incarcérations, aux 100 000 hospitalisations sous contrainte et aux 36 000 mesures d'enfermement d'étrangers prononcées chaque année. Les mineurs représentent donc seulement, gardes à vue exclues, 3% des mesures de privation de liberté.

La Convention internationale des droits de l'enfant stipule que l'enfermement est une mesure de dernier recours qui doit être la plus brève possible. C'est là l'esprit-même de l'ordonnance du 2 février 1945. Encore faut-il évaluer le poids relatif de la prison par rapport aux autres sanctions appliquées aux mineurs, ainsi que les modalités de cet enfermement.

L'ordonnance de 1945 n'a pas supprimé la prison pour les mineurs, mais elle a fait coexister, autant que faire se peut, un système éducatif avec un système carcéral. Pour reprendre les termes d'un article de Manuel Palacio, publié dans les Cahiers de la sécurité intérieure, « après 1945 apparaît une période particulièrement confuse où certains mineurs sont placés dans des structures éducatives dont les modalités de fonctionnement sont carcérales et d'autres sont détenus dans des prisons traditionnelles qui abritent des populations adultes ». Or, le partage entre ces deux modalités ne s'est pas opéré de manière claire.

Les réformes et réflexions conduites au début de ce siècle et aboutissant à la création des CEF, ont contourné l'obstacle de la modification de l'ordonnance de 1945. Au-delà de l'opposition entre l'éducatif et l'enfermement, elles ont ainsi inventé un dispositif éducatif enfermé. Celui-ci présente trois aspects depuis 2002: premier aspect positif, il permet d'introduire les éducateurs de la PJJ dans les prisons traditionnelles. Second aspect plus négatif : il amorce le retour à la pratique antérieure d'un centre fermé non pénitentiaire pour mineurs ; le dernier centre de ce type, héritier des maisons de correction, avait fermé en 1979. Enfin, troisième aspect, la création des EPM par la loi d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002 représente une novation en matière carcérale ; domaine d'ailleurs où peu de choses ont été inventées depuis l'invention de la prison.

Telle qu'elle est formulée, l'évaluation du caractère dissuasif de la prison me semble donc malaisée. En effet, nous ne sommes pas dans un domaine purement cartésien qui permette de trancher sur l'opportunité de la prison. L'attitude des juges des enfants est en effet diverse : pour nombre d'entre eux, il existe une hiérarchie croissante entre une mesure de suivi en milieu ouvert, un placement en centre éducatif renforcé, en centre éducatif fermé, puis en prison. Pour d'autres, la prison demeure incontournable, dès la première infraction, pour que le mineur prenne conscience de la faute qu'il a commise. Dans ce contexte, je regrette que ne soit pas définie, au niveau de chaque cour d'appel, pour les juges du siège, y compris pour les juges des enfants, une politique pénale assurant un minimum de cohérence dans leurs orientations, tout en préservant bien sûr strictement leur indépendance sur chaque dossier individuel. Ce même problème se retrouve en matière d'application des peines.

En outre, chaque juge, une fois une mesure décidée, est confronté à son exécution matérielle. Les soirées des juges des enfants se passent souvent à rechercher des places où accueillir les jeunes. Cette question ne se pose pas pour la prison qui accueille tous ceux qu'on lui envoie, ce qui explique le phénomène de la surpopulation carcérale…Je regrette que le ministère de la Justice ait été incapable, jusqu'ici, d'élaborer un système informatique qui permettrait d'identifier rapidement les places disponibles dans les différentes structures existant à proximité. C'est à mes yeux une source de biais considérable, puisque, suivant les disponibilités, la nature de la décision du juge va changer.

Les EPM ont introduit des nouveautés considérables. Au lieu d'assurer une ségrégation par âge dans le même espace, ces établissements l'instaurent dans des espaces différents. L'architecture de ces établissements a été pensée en fonction du but qui leur avait été assigné. À l'inverse des prisons où le régime individuel est la règle, la vie collective est la norme dans les EPM. C'est là une révolution copernicienne dans la manière d'incarcérer des personnes. La diversité dans les activités sportives, ludiques et d'apprentissage constitue une autre innovation. Enfin, ces établissements représentent un pari coûteux, qui va à l'encontre des pratiques jusqu'alors constatées, impliquant la construction d'établissements d'une soixantaine de places qui ne sont généralement pas occupées dans leur totalité. L'exception demeure l'EPM de Marseille, qui connaît une certaine surpopulation (…)

S'agissant de la psychiatrie, J-M Delarue déplore le manque de données et précise : " Enfin, l'hospitalisation psychiatrique connaît de réelles difficultés. La pédopsychiatrie est encore en plus mauvais état. Je ne sais pas combien de jeunes entrent, chaque année, en hôpital psychiatrique sous contrainte, en l'absence de recensement par le ministère de la santé. On sait seulement que 3.000 mineurs étaient entrés en hôpital psychiatrique en 2003. Ce chiffre est très faible si on le compare à celui du nombre d'hospitalisation en soins sans consentement pour les adultes. En outre, je ne sais pas bien comment l'interpréter, dans la mesure où la pédopsychiatrie suit les jeunes jusqu'à l'âge de quinze ans. Les mineurs sont soignés en ambulatoire et, faute de places dans les services pédopsychiatriques, ils sont versés dans les services pour adultes. À l'hôpital de Marseille, nous avons ainsi découvert qu'un enfant de dix ans séjournait dans un service pour adultes, ce qui n'est pas acceptable.

S'agissant des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), je crois que la santé doit primer : il ne faut donc pas hésiter à placer en UHSA un mineur, si sa santé l'exige, quand bien même cela interromprait, provisoirement, son parcours de réinsertion. Aucune statistique n'est disponible à ce sujet. Toutefois, si l'on procède à une extrapolation à partir du nombre de détenus admis chaque année en soins sans consentement, on peut estimer que 78 mineurs environ sont concernés chaque année, ce qui est très faible (…)".

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