Passage au 35 heures à l’hôpital : difficile et mal vécu

FacebookTwitterLinkedInEmail

Proposée par le groupe UDI en mai 2014, la Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail, composée de vingt-huit membres, était chargée d’élaborer un bilan global aussi précis et complet que possible, de cette réforme importante. Dans cette perspective, la commission d’enquête a procédé à 37 auditions (soit près de 80 personnes). Cette commission qui vient de remettre son rapport, s'attarde sur le passage des 35 heures dans la fonction publique hospitalière et indique  que si " plus de 45 000 emplois ont dû être créés entre 2002 et 2004 pour s’adapter aux 35 heures, tout en continuant d’assurer un égal niveau de service public, la mise en place des 35 heures dans la fonction publique hospitalière ne s’est d’ailleurs pas faite sans heurts". Extrait.

Lors de son audition, Mme Marie-Anne Lévêque a rappelé que l’hôpital public était le dernier versant de la fonction publique à être passé aux 35 heures, « parce qu’il s’agissait du processus le plus complexe » : il fallait non seulement réorganiser l’ensemble des cycles de travail à l’hôpital, mais l’on considérait également qu’« une réduction du temps de travail dans ce secteur n’était pas supportable sans création d’emplois dans ce qu’il est convenu d’appeler des « compétences rares », donc sans certitude d’être en mesure de les pourvoir ».

La mise en place des 35 heures dans la fonction publique hospitalière s’est effectuée en deux temps : un premier protocole a été conclu le 27 septembre 2001 pour les personnels non médicaux ; un second protocole en date du 22 octobre 2001 concernait spécifiquement les personnels médicaux. Ce plan prévisionnel de recrutements s’est par ailleurs accompagné de la mise en place de comptes épargne-temps.

Le protocole visant les personnels non médicaux prévoyait la création de 45 000 emplois non médicaux, répartis entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a confirmé ces estimations en février 2014 lors d’une audition au Sénat, en considérant que les 35 heures avaient effectivement permis de créer « 37 000 emplois dans le secteur sanitaire et 8 000 dans le secteur médico-social ».

Le protocole visant les personnels médicaux prévoyait pour sa part le financement de l’intégration des gardes dans le temps effectif de travail et la création de 3 500 emplois médicaux.

Le coût de la création d’emplois non-médicaux est estimé, selon Mme Marie-Anne Lévêque, à 1,64 milliard d’euros, soit un peu plus que l’estimation de 1,5 milliard d’euros réalisée en 2005 par la Direction du Budget. Elles se sont étalées entre 2002 et 2004, en fonction des autorisations notifiées aux établissements.

Mais selon notre collègue sénatrice Mme Aline Archimbaud, ces créations d’emploi sont surestimées : concernant les emplois non-médicaux, seuls 35 000 auraient été créés, tandis que tous les postes médicaux n’ont pu être pourvus, en raison du manque de candidats et de crédits insuffisants accordés aux établissements.

Ce constat est partagé par la Cour des comptes qui a indiqué, dans un rapport de mai 2006 consacré aux personnels des établissements publics de santé, que le nombre de postes annoncés était déjà insuffisant pour compenser intégralement la réduction du temps de travail.

Aussi, en dépit des prévisions de créations d’emploi, Mme Marie-Anne Lévêque a reconnu que « le passage à la RTT s’est avéré compliqué », car il a contribué à « amplifier la pénurie de personnels infirmiers et médicaux, sans que l’on ait anticipé cet effet dans la fixation du numerus clausus ou dans le volume des promotions des instituts de formation en soins infirmiers ».

Pour sa part, M. Lionel Jospin, lors de son audition, a souligné que : « (…) Il nous a semblé que les conditions de travail à l’hôpital, à certains égards et au moins pour certains personnels, se rapprochaient des conditions de travail dans les entreprises. C’est pourquoi nous avons fait cette distinction. Je ne la regrette pas : le passage aux 35 heures à l’hôpital était une décision de principe, que je continue de juger juste.

« Je suis néanmoins obligé d’admettre que nous aurions dû attendre deux ans de plus : n’oublions pas qu’il y avait eu des suppressions de postes massives, notamment d’infirmières ; quand nous sommes arrivés aux responsabilités, et surtout quand nous avons commencé d’imaginer appliquer les 35 heures à l’hôpital public, nous avons relevé le numerus clausus pour les médecins, afin de pouvoir en recruter davantage, et nous avons massivement recruté des infirmières.

« Mais il faut trois ans pour former une infirmière, bien plus pour former un médecin : d’une certaine façon, il aurait mieux valu retarder la réforme pour que les recrutements pussent être plus importants encore. « Souvenons-nous néanmoins que la pression des personnels hospitaliers, notamment, était très forte. Nous y avons cédé, et c’est mon principal regret. »

Les créations d’emploi dans la fonction publique hospitalière à l’épreuve de la pénurie de personnel médical et non-médical: l’exemple de l’établissement public de santé de Ville-Evrard

Lors de la visite de la rapporteure à l’établissement public de santé de Ville-Evrard, la direction de l’établissement a indiqué avoir obtenu le financement de 96 postes non-médicaux et de 12,5 postes médicaux à l’occasion de la réduction du temps de travail, ce qui correspond à une augmentation de 5 % des effectifs de l’établissement.

Mais en raison de la pénurie de personnel non-médical, et notamment de personnel infirmier, particulièrement marquée dans le département de Seine-Saint-Denis, la direction de l’établissement, en concertation avec le corps médical et les organisations syndicales, a fait le choix de la diversification des compétences dans les services de soins : seuls 3 postes en équivalents temps plein (ETP) ont été consacrés au recrutement d’infirmiers supplémentaires. L’accent a été mis sur le recrutement d’autres personnels, en priorité des aides-soignants (35,5 ETP) et des psychologues (15 ETP), mais également des ergothérapeutes (7 ETP) ou encore des psychomotriciens (4 ETP).

Cette diversification, utile à la prise en charge de patients, a néanmoins fait peser sans compensation la charge de la réduction du temps de travail sur les équipes infirmières, car les autres professionnels en charge des patients ne sont pas concernés par l’obligation de permanence du service public 24h/24.

Plus de dix années après la mise en place des 35 heures, le déficit infirmier à l’établissement de Ville-Evrard n’a toujours pas été compensé. Si l’établissement a fait le choix de ne pas faire appel à des entreprises de travail intérimaire, en raison du coût élevé de cette solution, de nombreux vacataires sont en revanche employés pour effectuer des remplacements, ou soutenir les équipes en difficulté;

Extrait du Rapport fait au nom de la Commission d'enquuête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail, Président M. Thierry Benoit Rapporteure Mme Barbara Romangna, députés – Assemblée nationale, 9 décembre 2014.