Loi de santé : « Une conception redynamisante de la santé mentale »

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Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté à l'Assemblée nationale le 14 avril, et plus particulièrement son article 13, ouvrent de nouvelles perspectives pour l'organisation des soins en psychiatrie. Que contient cet article et quelles conséquences en découlent ? Le Collectif pour une psychiatrie de progrès, qui a été force de propositions pendant les débats, salue « une conception redynamisante de la psychiatrie » et présente son analyse.

Le projet de Loi de santé qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale relève d’une double logique. D’une part il énonce et poursuit des objectifs de santé publique, dans le champ de la prévention comme dans celui des soins. D’autre part il accentue la logique organisationnelle de la loi HPST, en mettant en avant les territoires, les acteurs de terrain, la contractualisation, la démocratie sanitaire, la complémentarité des intervenants. Il cible le résultat et donc l’usager, et non les structures institutionnelles, ou les corporations (pour mieux contraindre ces dernières ?). Au total il prétend intervenir dans un grand nombre de domaines, dont notre monde de la santé n’a certainement pas encore pris la mesure.

Parmi eux, et pour répondre à une demande formulée avec insistance depuis plusieurs années, et davantage encore depuis 2009, ce projet de loi de santé traite de la psychiatrie et de la santé mentale. Si l’on met de côté la loi de 2011 sur les soins sans consentement, aucun texte législatif global ne s’était intéressé à ce domaine depuis plus de trente ans. Emanant de la mission « Laforcade » et des travaux des directions concernées du Ministère de la Santé, il aboutit selon nous à une conception redynamisante de la santé mentale dans notre pays.

L’article 13 qui en traite est donc à marquer d’une pierre blanche, d’autant qu’il va permettre des évolutions conséquentes dans notre façon d’envisager l’avenir de l’organisation de notre système de soins psychiatriques.

Que dit-il, et quelles conséquences en découleront ?

Il établit tout d’abord, dans son titre même (chap 1er du Titre II du Livre II de la troisième partie du CSP) une distinction entre la politique de santé mentale et l’organisation de la psychiatrie. Traiter de psychiatrie ne revient plus simplement à parler de « Sectorisation Psychiatrique », mais de « Politique de santé mentale et de l’organisation de la psychiatrie ».

Cette politique est globale, elle associe tous les acteurs. Elle repose sur l’élaboration d’un « Projet territorial de santé mentale », défini sur la base d’un « diagnostic territorial partagé en santé mentale ». Ce diagnostic, auquel doivent participer tous les partenaires, (professionnels, usagers, collectivités…) identifie les réalités de santé du territoire et établit un « état des ressources disponibles qui a pour objet d’établir les insuffisances de l’offre de prévention, de soins, et dans la continuité des services sanitaires, médico-sociaux et sociaux et de formuler des préconisations pour y remédier ».

Ce Projet est élaboré et mis en œuvre « à l’initiative » des professionnels et établissements travaillant dans le champ de la santé mentale « à un niveau territorial suffisant pour permettre l’association de tous les acteurs et l’accès à des modalités et des techniques de prise en charge diversifiés ». Si ce projet territorial ne voit pas le jour, le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) « prend les dispositions nécessaires pour que les territoires bénéficient d’un projet territorial de santé mentale ». Ce projet territorial organise la « coordination de second niveau ».

Il précise les conditions d’accès à la prévention et au dépistage précoce, à l’ensemble des techniques de soins spécifiques, aux modalités d’accompagnement et d’insertion sociale, et « à un ensemble de dispositifs et de services répondant à des priorités définies par voie réglementaire ». Il détaille les objectifs poursuivis, en s’appuyant sur les bonnes pratiques cliniques, le développement professionnel continu  et le développement de la recherche clinique. Cette coordination territoriale doit pouvoir assurer, notamment aux patients pris en charge dans le cadre de la mission de secteur, l’accès à l’ensemble de ces dispositifs et services, dans le cadre d’un « parcours » « de santé et de vie de qualité et sans rupture ».

Le diagnostic territorial partagé et ce projet territorial de santé mentale sont arrêtés par le Directeur général de l’ARS et fait l’objet d’une contractualisation avec les acteurs du territoire participant à la mise en œuvre de ces actions, après avis des Conseils Locaux de santé mentale et des Conseils territoriaux de santé. Ce contrat définit les engagements des signataires, les moyens affectés, les indicateurs de suivi… Et ce seront les structures signataires du même contrat territorial de santé mentale qui pourront constituer entre elles une « communauté psychiatrique de territoire » pour la définition et la mise en œuvre de leur projet médical d’établissement, qui sera donc coordonné.

 

Traiter de psychiatrie ne revient plus simplement à parler de « Sectorisation Psychiatrique », mais de« Politique de santé mentale et de l’organisation de la psychiatrie ».

 

Une mission de psychiatrie de secteur réaffirmée, mais est un outil parmi d'autres, au service des besoins d'un territoire plus large

« Au sein de l’activité de psychiatrie » il existe une « mission de psychiatrie de secteur », laquelle est définie dans l’article de façon très classique et recouvre une pratique bien connue. A ceci près : ce sont les établissements qui définissent les modalités et le fonctionnement de cette activité, en déclinant la zone d’intervention qui leur est affectée par l’ARS, tant pour les adultes que pour les enfants et adolescents en « territoires de proximité appelés secteurs de psychiatrie ».

Autrement dit la mission de psychiatrie de secteur, si elle est réaffirmée dans son principe et ses modalités, est mise en œuvre à la discrétion des établissements, sous la tutelle des ARS. Cette psychiatrie de secteur n’est qu’un outil parmi d’autres, au service des besoins d’un territoire plus large, au sein duquel doivent aussi être accessibles à tous des modalités de traitement et de prise en charge spécifiques, correspondant à des besoins établis et à des objectifs prioritaires définis, et qui devront tenir compte des bonnes pratiques et des données issues de la recherche.

Quelques autres modifications sont introduites, à la marge, dans le domaine des soins sans consentement, des conventions à établir avec un secteur associatif chargé de missions de prévention, de réinsertion et de réhabilitation, et de l’usage des chambres d’isolement.

Mais l’essentiel réside dans ces évolutions des places respectives accordées aux établissements, aux communautés d’établissements, aux secteurs, à l’offre de soins spécifiques et de deuxième niveau, et aux lieux d’élaboration et de décision des orientations prises en termes d’organisation du système. L’absence de référence plus explicite à l’exercice libéral de la psychiatrie comme à ses articulations avec le dispositif décrit, est un manque qu’il faut toutefois souligner dans l’attente de le voir enfin corrigé.

En d’autres termes, il est souhaité de partir des besoins des patients, et, dans le cadre d’une démocratie sanitaire de proximité, (ne reposant plus sur le seul point de vue des professionnels) de définir des projets territoriaux qui rendent accessibles à tous un « panier de soins » spécifiques, dont fera partie la « mission de secteur », mais qui pourra comprendre également des dispositifs plus spécifiques correspondant aux interventions aujourd’hui considérées comme scientifiquement pertinentes, pour un « parcours » de santé plus efficient. De ces projets les ARS seront garantes, si la dynamique collective locale est défaillante.

L’évolution du cadre législatif de la psychiatrie est donc notable, et, selon nous, correspond autant aux évolutions des attentes des usagers que des conceptions de notre « Collectif pour une Psychiatrie de Progrès » qui, depuis le Livre Blanc de 2012 ne cesse de défendre ces idées.

Trois remarques pour finir :

le degré de connaissance intime de la problématique par les parlementaires est très hétérogène, et repose sur quelques personnalités marquantes, mais ne mesurant pas toujours l’ensemble des enjeux qu’un tel acte législatif peut engager pour l’avenir. Du reste, la santé peut-elle être traitée à travers le prisme d’un débat gauche /droite ? Ne serait-il pas plus opérant de faire avancer ces questions par le biais d’une « démocratie sanitaire » plus directe ? C’est bien sûr l’esprit de ce texte, mais force est de constater que cette démocratie n’est pas évidente au quotidien. Il importera donc d’en étudier les conditions de mise en œuvre authentique et dynamique. Mais il importera également d’être au clair sur ce qui relève de la démocratie (l’expression des besoins, la participation au « diagnostic partagé ») et ce qui relèvera toujours de la compétence médicale (les indications thérapeutiques, la responsabilité des soins)

Ce texte n’est qu’une loi. Il faudra attendre les décrets d’application. Sa mise en œuvre dépend de l’engagement d’une grande pluralité de personnes et d’institutions où il sera loisible à chaque partie de bloquer le mouvement. Il importera donc que les ARS jouent pleinement leur rôle, afin d’inciter vigoureusement les partenaires à réfléchir ensemble et à déboucher sur des propositions concrètes de restructuration.

Enfin il suppose plusieurs révolutions, celles du développement d’un secteur médico-social dédié aux situations de handicap psychique, du décloisonnement culturel et réglementaire des champs sanitaire et médico-social, de l’engagement des équipes de soins dans les nouvelles pratiques, le dépistage précoce, la réhabilitation psychosociale, la psychiatrie dans la communauté, de l’affirmation du rôle exclusivement thérapeutique de la psychiatrie, de la distinction clinique et psychopathologique à faire entre les dimensions du passage à l’acte, pathologique ou à judiciariser…

Au total ce texte est salué par notre Collectif. Mais il reste beaucoup à faire pour qu’il ne finisse pas au cimetière des réformes inachevées de notre psychiatrie française.

Plus d'infos sur le Collectif Pour une psychiatrie de progrès : http://psychiatriedeprogres.over-blog.com/