Infirmières : concilier emploi-famille et vie personnelle

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Au-delà des spécificités nationales, cette recherche propose une comparaison des perceptions et des vécus des infirmières québécoises et françaises, du secteur public. L’entrée analytique par la profession a été privilégiée afin de saisir la problématique de la conciliation travail-famille/vie personnelle ainsi que les mesures pouvant avoir une incidence sur l’attraction et la rétention de cette main-d’œuvre.

Conclusion 

L’entrée par la profession nous a permis de montrer comment la profession d’infirmière se caractérise par un certain nombre de caractéristiques communes et par un très fort éthos et engagement professionnel. La recherche a aussi fait émerger des caractéristiques liées à l’appartenance à la profession d’infirmière, au-delà des frontières nationales. Cela permet de confirmer l’existence d’un éthos professionnel, puisque justement il dépasse les frontières. Cette entrée par la profession semble donc bien utile pour étudier la thématique de la conciliation travail-famille. Grâce à nos entretiens, nous avons pu mettre en relief les tensions associées au rôle professionnel des infirmières en lien avec leur éthos professionnel, les normes et les exigences du milieu professionnel et celles de leur vie familiale et personnelle.

Plusieurs infirmières vivent une tension très forte entre le soin et l’attention qu’elles souhaitent apporter aux patients et la dimension technique ou médicale des soins, entre le travail qu’elles souhaitent faire ou la manière dont elles souhaitent le faire et le travail prescrit (notamment les temps prescrits par tâche). Les tâches administratives et techniques entrent souvent en conflit avec le temps qu’elles souhaitent consacrer aux patients, et du coup, ces derniers sont souvent peu reconnaissants de leur travail, puisqu’elles doivent se limiter dans le temps qu’elles y accordent et la dimension plus personnelle ou relationnelle est souvent mise entre parenthèses.

Alors que les infirmières sont pour la plupart très engagées dans leur travail, ou l’étaient tout au moins à leur entrée dans la profession, elles voient cet engagement remis en question par les pressions temporelles et administratives, ainsi que par la pénurie de personnel vécue dans plusieurs services. Elles sont donc en quelque sorte prises entre l’éthos de leur profession (engagement, soins, attention au patient) et les tâches administratives et techniques qui doivent être faites, réduisant le temps consacré à la dimension personnelle et relationnelle. La reconnaissance de leur travail n’est plus la même, puisque tant les directions d’établissements que les patients ne semblent pas reconnaître la tension dans laquelle elles sont tenues, entre l’engagement personnel dans le travail de soins et l’obligation de rendement et de rapidité à laquelle elles sont tenues dans le travail concret.

Nos entrevues ont permis d’examiner les perceptions et les vécus des infirmières du secteur public. Que ce soit au Québec ou en France, les infirmières semblent fragilisées par de nombreuses incertitudes quant à leur place et leur rôle dans la profession. Toutes estiment que leur situation professionnelle s’est dégradée. Le nombre croissant de patients, le manque de main-d’œuvre infirmière, l’amplification de fiches, rapports, etc. à compléter, les restrictions budgétaires, le manque de compréhension et de soutien des supérieurs quant à une possible articulation de la vie professionnelle et personnelle les amènent toutes à prendre des congés auxquels elles ont droit (même si ce n’est pas toujours bien vu) pour tenter de prendre de la distance et de s’occuper de leur famille.

Comme la profession d’infirmière est une des principales professions des femmes, au Québec comme en France, les enjeux sont ici très importants, d’une part pour la conciliation entre vie personnelle, familiale et professionnelle, mais aussi pour leur identité professionnelle, que les transformations du milieu semblent interroger profondément dans l’exercice de leur métier, au point de remettre en question la fin du parcours professionnel. Ce sont là des enjeux importants que des travaux futurs pourraient continuer de développer, en tentant de mesurer l’ampleur de ces phénomènes et donc en complétant l’approche qualitative utilisée ici par une démarche quantitative qui pourrait donner un portrait permettant de dégager des conclusions encore plus claires pour les politiques publiques. Pour le moment, il est clair toutefois que des mesures d’aménagement et de flexibilisation du temps de travail seraient plus appropriées que des mesures financières pour inciter les infirmières à rester en emploi, dans un contexte où le milieu affirme déjà être en pénurie de main-d’œuvre.

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Nadia Lazzari Dodeler et Diane-Gabrielle Tremblay, « La conciliation emploi-famille/vie personnelle chez les infirmières en France et au Québec : une entrée par le groupe professionnel », Revue Interventions économiques, 54 | 2016.