J’ai retrouvé mon grand-père dans un hôpital psychiatrique

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Une pièce de théâtre a été un des temps forts de la 7ème journée organisée le 3 février 2017 par l’association Serpsy (Soins Etudes et Recherches en psychiatrie) au Centre Hospitalier Montperrin (13). Les 215 personnes présentes ont pu voir sept de leurs collègues jouer une pièce écrite par Madeleine Esther, infirmière à l’ASM XIII (Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris), et par ailleurs metteur en scène

« Je m’appelle Carmen Torrès. J’étais infirmière en psychiatrie. J’ai aimé mon métier, beaucoup. Cet après-midi, j’ai donné ma démission. »

Le rideau se lève sur Carmen qui trace les premières lignes d’un décor auquel elle a décidé de renoncer : alors qu'elle aime tant son travail, cette infirmière le quitte. Parce qu’elle a choisi de ne pas céder sur l’éthique et sur le désir qui anime sa manière d’être soignante, elle a donné sa démission.

« On va faire sortir M. Fuentes. Ça fait 8 mois qu’il est là. Tu calcules ce que ça fait, à 450 euros par jour ? Et c’est l’hosto qui paie. Le directeur m’a appelée. Il faut qu’on trouve une solution. » Comment résister à cette injonction administrative et économique que Nathalie, cadre de santé, prend à son compte ? L’équipe soignante va tenter de s’y employer. Certains obéissent sans se poser de questions, d’autres se battent, refusent aussi longtemps qu’ils le peuvent, avant de renoncer vaincus par la raison administrative.  

La ressemblance avec certains lieux de soins est troublante mais pas fortuite. La pièce est inspirée de faits réels. En effet, cette pièce nous parle. On peut même dire qu’elle « nous parle… de nous » comme le souligne la préface de Dominique Friard qui en a également assuré la mise en scène.

Un hôpital psychiatrique de province, des bouts de quotidien qui rythment le temps et les espaces que les soignants partagent. Relèves, transmissions, pauses, espace-temps interstitiels forment le terreau de la vie d’une équipe restreinte. Un corps infirmier amputé (Dorothée et Carmen), suppléé d’aides-soignantes (Sigunda, Mélissa et Isabelle), d’une cadre infirmier (Nathalie) et d’un homme de ménage (Laurent). D'autres personnages, présents par leur absence : patients et psychiatres se dessinent dans le discours des soignants. Le psychologue n’est pas évoqué mais ses fonctions (psychothérapeutique, prise de recul et mise en sens) demeurent incarnées par certains, soutien de leur assise clinique.

Au centre de la pièce, d’une présence d’autant plus forte qu’il en est absent, le patient. En plus de l’étrangeté caractéristique de la folie, M. Fuentes vient d'ailleurs, il est étranger. Ses origines espagnoles font chanter sa voix et l'écho d'un accent cultivé dans les campagnes de Lozère par un certain Tosquelles se met à vibrer, raisonner…

M. Fuentes à été cueilli dans la rue alors qu’au détour de son errance il trouvait refuge dans des lieux inhospitaliers. Demande d’asile silencieuse, informulable, à laquelle on répond par l’isolement et la contention… "Juste au cas où !"

Le temps de l'accueil et l'offre d'hospitalité semblent avoir disparus, étouffés par l’empilement des croix que certains s'épuisent à faire entrer dans les cases étroites de l'administration, tandis que d'autres tentent de les élargir…

Évolution des pratiques au tempo de la fermeture des portes, déformations professionnelles empreintes d’enjeux de pouvoirs et d’injonctions hiérarchiques. 

L’administration, elle, ne se prive pas de demander : « Comptez ! Evaluez ! Economisez ! Rentabilisez ! » Il semble plutôt qu'elle exige, au nom bien entendu du bien commun.

Lorsque convaincus, certains répondent ; d’autres subissent, abattus; quand d’autres encore tentent de résister comme ils peuvent.

Quelques dialogues suffisent à aborder une multiplicité de thématiques criantes d'actualité au creux desquelles se dessine le quotidien d’une équipe qui rencontre la singularité d’un de ces hommes qui ne demandent rien, d'un de ceux qui semblent attendre que passe le train (Oury et Depussé dans "A quelle heure passe le train. Conversation sur la folie" (2 ).

Au lieu d'un quai de gare, la rencontre se passe sur le rivage d'une eau alimentée par les flots de l'exil. Les vents de l'économie et de la justice soufflent dans les voiles d'une embarcation qui menace de couler, qui ne peut plus proposer asile. Difficile d'apercevoir les îlots de résistance dans le brouillard, difficile d'entrevoir ces lieux qui ont germé pendant la seconde guerre et dont on entend parfois parler comme de véritables oasis.

C'est chacun à sa manière que le 3 février dernier, quelques soignants se sont improvisés comédiens le temps d'une journée organisée par Serpsy sur le thème du corps, de l’écrit et de la psychose. S’improviser pour donner vie à une pièce, pour jouer sur une autre scène ce qui peine à s’élaborer, jouer pour résister.

Ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à une représentation qui a nourri un débat d’une heure avec la salle, pourront lire la pièce publiée aux éditions Digobar. Une séance de signatures est organisée le 30 juin 2017, à 19 heures, à Paris, à la Maison des Métallos, à cette occasion trois scènes de la pièce seront lues.

Audrey Sauvêtre, psychologue clinicienne, C.H. Montperrin (13)

  1. ESTHER (M), J’ai retrouvé mon grand-père dans un hôpital psychiatrique, Digobar Editions, Paris, 2016.
  2. OURY (J), DEPUSSE (M), A quelle heure passe le train ? Conversation sur la folie

– Pour commander le texte de la pièce : Esther Madeleine, J’ai retrouvé mon grand-père dans un hôpital psychiatrique, Digobar Editions, Paris 2016. Prix : 10 €, 28, rue des Bas Longchamps, 92 220 Bagneux, France. www.digobar.fr

– Pour assister à la séance de signature : réservez à la Maison Des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, 75 011 Paris, tél : 01 47 00 25 20, reservation@maisondesmetallos.org

– Pour la faire jouer dans votre établissement : contacter D. Friard 06 71 22 24 41.